Vu hier soir le film de Arnaud Michniak, APPELLE CA COMME TU VEUX, édité en DVD par Mathieu Copeland et distribué par le label ICI D'AILLEURS. Une véritable petite secousse pour ma part. De celle dont on se remet lentement et qui change à jamais un petit quelque chose en vous. Un petit quelque chose qui commence déjà à tracer sa propre ligne de fuite.
Une première pensée juste après le visionnage de ce DVD : Ce film est le film que j'aurais dû avoir l'idée de faire. Ce film est à l'image de l'échec de mes tentatives de réaliser quelques 'courts' en vidéo. Ce film possède une vitalité que j'aurais aimé atteindre.
Michniak a réussi presque du premier coup ce que je n'ai pas encore réussi (ou ne réussirais jamais, étant donné que je n'ai pas donné suite) : passer outre le jugement des autres, passer outre les conventions cinématographiques, traduire l'urgence de vivre et son désoeuvrement par des images montées faisant sens. Capturer la vie, la vraie.
Comme lors de l'écoute des disques du même Michniak, comme lors de la lecture d'un bouquin de Philippe Muray, ce film synthétise partiellement des choses que j'avais en tête, des non-dits, des impressions, des pressentiments. Et vous savez à quel point il est troublant d'entendre des gens dire des choses que vous aviez en tête depuis toujours mais que vous n'aviez jamais réussis à verbaliser.
Peut-être est-ce là le sens du mot "Oeuvre d'Art" ? Pétrir le chaos pour en faire surgir une forme, une pensée. Faire que cette forme révèle une vérité ordinairement hors de portée, confuse, codée.
En vue d'un article que je vais soumettre à la rédaction du quotidien Suisse LE COURRIER, j'ai décidé de mettre ici à plat quelques idées que je compte développer par la suite :
** Utilisation par l'auteur de l'outil vidéo, utilisation qui fait vraiment sens, qui colle à la peau des considérations sociales du film : une esthétique pauvre pour un film fait par des pauvres, parlant de la condition des pauvres (une démarche esthétique assez proche de ce que peux faire TERRENOIRE dans le milieu de l'édition). Faire un film social sans faire du "cinéma politique", du "cinéma engagé" tel qu'on se le figure habituellement, tel que les médias nous en façonnnent l'image.
** Forme brute de décoffrage : un discours tout juste articulé, une succession de plans à priori sans queue ni tête, un brouillage volontaire entre fiction et documentaire. Un propos et un montage d'une étonnante violence (violence que l'on pourrait qualifier de "pornographie du réel", une image du monde aussi absurde que l'image d'une queue pilonnant continûment un vagin). Pas de blabla inutile, pas de psychologie, de sociologie, juste un zest de théories, de pensées fugaces, des fragments de situations, des rencontres. Bref, presque une nouvelle forme de discours en soit.
** Propos ambitieux : évoquer le désoeuvrement des citoyens du monde occidental, la misère sociale des privilégiés, la perte de sens du monde, son incapacité à nous inspirer de nouvelles fictions. Ou alors sa capacité à transformer notre monde en une fiction totale ("La méthode la plus prudente et la plus efficace pour affronter le monde qui nous entoure est de considérer qu'il s'agit d'une fiction absolue" J.G. Ballard).
** Réussir à rendre presque acceptable cette idée post-moderne (si présente dans l'histoire de l'Art Contemporain") que me dérange tant : cette idée que "les catégories ne tiennent plus", que "l'histoire de l'art ne t'impressionne plus parce que tu as compris qu'elle était ce présent mort de catégories" (Arnaud Michniak)
Seul point négatif et non négligeable : Si le film atteint parfaitement son but dans sa première partie, si l'articulation des images y est particulièrement inspirée, frontale, pleine de sens, la seconde partie du film est tout de même bien moins intéressante. Largement en dessous de la première. Plus sage, moins urgente. Dommage.
Finalement, APPELLE CA COMME TU VEUX vaut surtout pour sa première partie, une quarantaine de minutes qui défouraillent sec. Michniak explore une singulière "manière d'être au monde" (c'est ma définition préférée du cinéma : formuler des "manières d'être au monde"), à la fois terriblement pessimiste mais profondément vitaliste.
Bref, ce qu'on appelle plus communément l'énergie du désespoir !
"Parcequ'il faut revenir vers la vie, car c'est la vie qui est en voie de disparition (...) la puissance créatrice sommeille partout tandis que l'art n'est qu'une classification supplémentaire" (Arnaud Michniak)
Y'a pas, ce film vaut vraiment le détour.
Dispo (entre autre) ICI.
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