Découverte de l'écrivain américain DON DELILLO. Débuté par l'un de ses plus récent roman, COSMOPOLIS, récit initiatique d'un jeune yuppie prenant conscience, pris au piège d'un embouteillage monstre dans sa limousine au coeur de Manhattan, de l'abération de son être au monde.
L'interview de DON DELILLO que Jean-Baptiste Thoret avait réalisé pour la revue de cinéma PANIC m'avait déjà mis sur les rails. J'avais trouvé les propos de cet écrivain relativement visionnaires et terriblement lucides, proposant une vision de la société américaine très réfléchie, riche de théories à la fois très pointues mais aussi fort maléables pour le lecteur. La lecture de ce roman confirme mes intuitions : DON DELILLO possède un style vraiment à lui, pas facile à décrire (vu la place dont je dispose ici, je ne m'y risquerais pas, sachant de toutes façons que le mieux serait d'en faire soit-même l'expérience), au service d'un regard neuf et sagace sur l'occident.
Bref, plus qu'une oeuvre romanesque, un guide de décryptage du monde.
Quel plaisir de savoir qu'il me reste 14 de ses livres à découvrir.
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- Tu sais ce que produit le capitalisme. D'après Marx et Hegel ?
- Ses propres fossoyeurs, dit-il
- Mais là, ce ne sont pas les fossoyeurs. C'est le libre marché lui-même. Ces gens sont un fantasme crée par le marché. Ils n'existent pas en dehors du marché. Il n'y a nulle part où ils puissent aller pour être en dehors. Il n'y a pas de dehors.
La caméra suivait le flic qui pourchassait un jeune homme dans la foule, image qui semblait confusément exister à distance de l'instant.
- La culture de marché est totale. Elle produit ces hommes et ces femmes. Ils sont nécessaires au système qu'ils méprisent. Ils lui procurent énergie et définition. Ils ont motivés par le marché. Ils s'échangent sur les marchés mondiaux. C'est pour ça qu'ils existent, pour vivifier et perpétuer le système.
Il regardait la vodka tanguer dans son verre, tandis que la voiture tanguait d'avant en arrière. Il y avait des gens qui frappaient sur les vitres et sur la carrosserie. Il vit Torval et les gardes du corps les balayer du capot. Il songea un bref instant à la cloison derrière le chauffeur. C'était un cadre en cèdre renfermant l'incrustation d'un fragment d'écriture ornementale coufique sur parchemin, fin du Xe siècle, Bagdad, sans prix.
- Il faut que tu comprennes.
Il dit : Quoi ?
- Plus l'idée est visionnaire, plus elle laisse des gens en arrière. C'est tout le sujet de cette manifestation. Les visions de la technologie et de richesse. La force du cybercapital qui enverra les gens vomir et mourir dans le caniveau. Quelle est la faille de la rationalité humaine ?
Il dit : Quoi ?
- Elle fait semblant de ne pas voir l'horreur et la mort au bout des schémas qu'elle construit. Ceci, c'est une manifestation contre le futur. Ils veulent bloquer le futur. Ils veulent le normaliser, l'empêcher d'engloutir le présent. Des voitures brûlaient dans la rue, du métal sifflait et crachait, et, dans les nappes de fumée, des figures abasourdies erraient au ralenti parmi les masses de véhicules et de corps, et partout d'autres couraient, et il y avait un flic à terre, en genuflexion, devant un établissement de fast-food.
- Le futur est toujours totalité, uniformité. On y est tous grands et heureux, dit-elle. C'est pourquoi le futur échoue. Il échoue toujours. Il ne peut jamais être le lieu de ce bonheur cruel que nous voulons en faire.
(p. 102/103)
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