samedi 3 novembre 2007

INTERVIEW RIAD SATTOUF - PART II

Quelle est l'origine du personnage ?

J'ai commencé à dessiner PASCAL BRUTAL dans le Journal Ferraille, deux pages qui étaient archi vulgairo-agressives. Mais j'aurais du mal à t'expliquer de quel coin de ma tête il est vraiment sorti. Pour moi Pascal c'est une sorte de personnage compensateur, une sorte de vengeur, le grand copain hyper viril que tout le monde rêve d'avoir, qui serait là pour te protéger.
Autant SUPERMAN est le produit de l'Amérique post-Crise de 29, autant PASCAL BRUTAL c'est le produit de l'époque des Skyblog, d'un certain néant culturel, d'une uniformisation complète, d'un monde où il faut être le moins différent des autres.

J'ai le sensation quand je lis tes BD qu'entre la commande initiale et le produit finalisé, il y a toujours un gouffre, comme si tu prenais un malin plaisir à ne jamais remplir totalement ton contrat. Je pense à NO SEX IN NEW YORK, par exemple, où tu pars à NY pour faire un reportage sur un sujet et tu dévies finalement vers un autre. PASCAL BRUTAL aussi ne va pas forcément dans la direction qu'on pourrait l'imaginer...
Cette sensation vient peut-être du fait que je fais croire que cette BD (NO SEX IN NEW YORK, ndr) est une commande pour le journal LIBE, alors que ce n'étais pas vraiment une commande en soit. LIBE m'avaient juste demandés de faire une BD pour l'été, donc moi j'ai pris le parti de faire croire qu'on me commandait un sujet et que je partais sur un autre. Maintenant, si c'était à refaire, je ne referais plus NO SEX IN NEW YORK de la même manière, c'est une BD que je trouve archi imparfaite.
Mais c'est vrai que j'aime bien changer de point de vue en cours de route. Dans PASCAL BRUTAL par exemple, j'aime bien changer sa façon de réagir, afin qu'à chaque fois ça soit presque un personnage un peu différent. Après, ce n'est pas un truc très réfléchi.

Si mes souvenirs sont bons, tu avais assez peu de temps pour le faire, NO SEX IN NEW YORK.
Oui, et le fait de faire une BD pour un grand journal m'a fais tout de même assez peur.

Tu t'es dis qu'en allant à New York, le sujet s'imposerait de lui-même ?
Je me suis tout simplement dis que c'était l'occasion d'aller aux Etats-Unis. Le journal ne m'a pas du tout payé le voyage, je me le suis payé tout seul. Il y avait juste la promesse que le feuilleton finirait par être édité en album chez Dargaud.

NO SEX IN NEW YORK - SOURCE IMAGE : A VOIR A LIRE

En tout cas c'était quand même l'occasion rêvée pour parler de cette classe de français expatriés qui ne fréquentent que des français, au lieu de chercher à s'imprégner de la société dans laquelle ils vivent.
Oui, et puis ces gens obsédés par l'idée d'avoir du fric, d'habiter dans un endroit "pas comme en France", un endroit où tout le monde est décomplexé à l'idée d'avoir du pognon.

Idem pour RETOUR AU COLLEGE, il y a une démarche à la limite de la malhonnêteté lorsque tu présentes à tes interlocuteurs de l'Education nationale ton projet de faire "un album sans cynisme sur le monde de l'enseignement". Le résultat est tout de même tout autre. D'autant plus que tu pousses même le vice à mettre en scène ta propre malhonnêteté.
(Rires) Mais dans ce que je leur ai dis, je n'ai pas vraiment l'impression d'avoir été malhonnête. A la base, je leur ai dis que je ne voulais pas faire un truc sur une ZEP, que je voulais faire une BD sur un très bon collège, voir comment ça se passe dans ces établissements. Et c'est que j'ai fais, ils ont acceptés sur ces présupposés, mais je ne leur ai jamais dit que je ferais une bluette. Et ils ne me l'ont pas demandés.
C'est vrai que si je leur avais dit que je voulais faire une BD sur les ados entre eux, effectivement ils ne m'auraient peut-être pas laissés faire ce que j'ai fais, mais c'est aussi mon travail que de parvenir à mes fins. Et puis les refus que j'ai eu quand je m'y suis pris seul, sans l'appui de mon éditeur, m'ont rassurés dans l'idée qu'il fallait que je sois un peu malhonnête.

Est-ce que tu as fini par savoir comment avaient réagis les gens qui avaient étés croqués ?
Je l'ai su par un biais détourné. Je suis tombé un jour par hasard sur le blog d'un de ces élèves qui racontait à quel point ils étaient hyper contents, que ce que j'avais raconté était archi vrai. Ceci dit, j'avais quand même bien pris soin de modifier leurs têtes. Il y avait aussi certains personnages que j'avais transformé en deux, d'autres personnages que j'avais mixé en un afin de ne pas en blesser certains.

Finalement, c'est plutôt les profs qui morflent dans RETOUR AU COLLEGE.
Tant pis pour eux, ils sont profs, c'est leur boulot de morfler.

Et tu n'as jamais su comment ils avaient réagis.
Non non, jamais.

Et au niveau de l'Education Nationale ?
Non plus, jamais eu de nouvelles. Mais je pense que c'est aussi dû au fait que le livre a eu un certain succès et qu'il ne présentait pas une vision affreuse de l'éducation. Le livre disait juste que des ados sont toujours des ados, qu'ils soient bourgeois ou qu'ils habitent dans une ZEP, et qu'il n'y a pas forcément de différence fondamentale entre leurs aspirations. Donc ce n'est pas spécialement scandaleux ou atroce de dire ce genre de trucs. Maintenant on va voir, car j'ai un autre projet où je vais devoir faire appel à un autre ministère pour le mener à bien, donc on va voir si cette fois on me laisse faire (rires).


Est-ce que le titre de NE SEX IN NEW YORK fait référence à Sophie Calle ?
Ah oui, NO SEX LAST NIGHT... Oui, c'était une caution artistique... New York, patrie de l'Art... Non, je plaisante. J'adore Sophie Calle, mais... c'était avant tout une référence à ce que j'avais vécu en allant New York où j'avais eu... No Sex In New York (rires)
Ceci dit, j'essaie de ne pas faire des trucs trop référencés à d'autres oeuvres. Je trouve ça assez prétentieux de tenter de s'inscrire dans la continuité d'une quelconque histoire de l'art.

Trouves-tu que ton travail a une quelconque lien avec l'autofiction exhibitionniste de Sophie Calle ?
Euhhh... Non ! C'est complètement différent, moi je me met juste en scène comme témoin, pas en tant qu'acteur expérimentant des choses sur lui-même, ce n'est pas comparable.

Quelle part de doute il y a quand tu dessines une BD comme NO SEX IN NEW YORK où tu pars sans vraiment savoir ce que tu vas dessiner ?
Dans le cas de NO SEX IN NEW YORK c'était assez terrifiant car je ne savais absolument pas ce que j'allais faire, ni comment j'allais le faire, et je doutais comme un malade tout le temps que je dessinais la BD. Finalement, j'avais toutes les raisons de douter, mais comme je n'avais pas suffisamment d'expérience, je n'avais pas les armes pour prendre le recul suffisant. C'était très angoissant, mais très formateur.
Mais c'est le cas pour toutes les BD. A chaque fois que j'en commence une, je me demande si ça va être drôle, c'est pourquoi je fais toujours lire mes planches à mes potes de l'atelier car ils sont impitoyables. Nous sommes d'ailleurs impitoyables entre nous, c'est le principe du truc.
Je ne suis jamais sûr de moi. Etonnement, un truc que je vais trouver pas terrible va fonctionner super bien auprès d'un lecteur. Finalement, ce n'est pas aussi angoissant que ça car je me dis que je continue d'avoir besoin des autres pour progresser. Je ne pense pas qu'un jour je finirais par chopper la méga grosse tête du type qui n'écoute plus ses potes pour se faire un jugement sur son travail. Je fais lire mes BD à quelques personnes en qui j'ai hyper confiance et j'ai vraiment besoin d'eux pour progresser.

Tu dis souvent que tu lis assez peu de BD. Tu m'as même dit tout à l'heure que tu lisais plus de romans que de BD. On trouve même sur ton bureau les "Notes sur le Cinématographe" de Robert Bresson. J'ai l'impression que tu utilises la BD comme un moyen d'écriture parmi tant d'autres, cependant, est-ce que tu ne te sens pas un peu en porte à faux par rapport aux fans de BD purs et durs qui voudraient que quelqu'un qui fait de la BD soit forcément à fond dedans ?
Non, car grâce aux études de dessin et de cinéma d'animation que j'ai faites, j'ai cette vision surplombante de l'histoire de la BD. J'ai lu à cette époque pleins pleins de trucs, je ne suis juste pas un maniaque de ça. J'ai lu beaucoup de BD, beaucoup de romans aussi, et je ne fais pas forcément de différence.
Pour résumer, disons que je n'aime pas le côté "communautaire" du truc. Je n'aime pas les communautés, le mec qui est dessinateur de BD qui ne fréquente plus que des dessinateurs de BD, ne va plus penser qu'en dessinateur de BD, tel truc c'est bien, tel truc c'est de la merde, et gnagnagna... Ca me rappelle les Bretons avec leur Bretagne, les Musulmans que j'ai fréquenté en Syrie dans leur village qui sont persuadés qu'il n'y a rien autour, etc. C'est un truc que je ne comprend pas, qui ne m'intéresse absolument pas, et je suppose que c'est la même chose dans le cinéma. Moi je pense que tout est intéressant, il faut prendre les choses bien là où elles sont.
Je trouve que c'est fatiguant de tout le temps se poser a question de ce qui est respectable, ce qui ne l'est pas, tout le monde a son avis sur la question et c'est toujours celui qui a la plus grande gueule qui va réussir à imposer son avis aux autres.
Finalement, je me fous de savoir si mon truc va être respecté par les puristes. Je pense que les puristes n'existent pas.

C'est une belle note de fin, ça, non ?
/FIN/

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci infiniement pour cet interview, je me permets un trackpad via mon blog, sans quote, juste un lien vers ici.

Je suis à genoux devant Sattouf.
Merci 78657648889 fois encore.

Paupiette a dit…

ça fait plaisir de lire un bon interview sur quelqu'un dont on apprécie vraiment le travail