Angora traite plutôt des états d'âme et des petites névroses. Pour votre second album, vous parlez avant de tout de sexe et d'amour (même si visiblement, les médias ont avant tout focalisé sur l'aspect sexuel de l'album). Pourquoi ce choix ? Est-ce que vous pensez que le sexe, malgré son omniprésence obsessionnelle dans toutes les sphères de la société moderne reste le grand impensé ? Le grand mystère ?
Je ne suis pas emballée par la manière dont le sexe est traité dans les médias de masse. Il n'y a pas de réflexion, on se contente de jouer avec les instincts les plus basiques, le sexe est là pour faire vendre du savon et des bagnoles. Mais pour ce qui me concerne, peut-on vraiment parler de "choix" ? Un artiste "choisit"-il vraiment ses sujets ? Parler d'amour et de sexe a plutôt été un besoin, une nécessité à dire les choses comme je les ressentais.
Ces dernières années, on a eu droit à beaucoup d'artistes féminines qui parlaient de sexe, mais globalement d'une manière très revancharde et amère, voire violente, je pense à Catherine Breillat, Virginie Despentes, Catherine Millet. C'est assez courageux de votre part de se placer après ça sur le terrain de la naïveté, sur un retour vers des valeurs plus simples, limite fleur-bleue.
On me demande souvent ce que je pense de ces trois auteures... Je me suis intéressée de près à leur travail et il y a des choses que j'apprécie, d'autres moins. Je ne trouve pas que Catherine Millet soit violente, au contraire, ce qui m'a frappée dans son livre c'est l'impression de sérénité qui s'en dégage.
Cependant, je ne vois pas pourquoi vous parlez de "courage". J'ai juste dessiné ça comme je le sentais.
Si vous ne vous êtes pas positionné contre ces auteurs, vous vous êtes tout de même positionné contre l'époque.
Je ne sais pas si je l'ai fait consciemment, mais comme je le disais plus haut, il y a beaucoup de choses qui m'insupportent, le sexe comme objet de consommation ou de scandales, l'hypocrisie avec laquelle on en parle, etc. Fraise et Chocolat essaie plutôt de raconter une histoire d'amour toute simple, presque idéale.
Quel effet a eu le fait d'évoquer au grand public votre vie sentimentale, vos doutes, vos questionnements sur votre vie sentimentale ?
Frédéric et moi y étions préparés bien sûr, nous y avons pensé dès le départ. Nous en parlons beaucoup, ça demande beaucoup de complicité. C'est devenu "notre truc à nous"...
Comment a réagi Frédéric face au fait de se retrouver de l'autre côté ?
Ce n'est pas la première fois. N'avez-vous pas lu Mariko Parade, réalisé en collaboration avec Kan Takahama ? L'album est paru en 2003, il rassemble des histoires courtes de Frédéric parues initialement dans divers supports, sur plusieurs années, mais toutes créées avec le même modèle, Mariko. Ces histoires sont reliées entre elles, englobées dans une fiction dessinée par Kan, qui s'approprie pour l'occasion les personnages de Frédéric et Mariko. L'ensemble forme un récit cohérent, où Frédéric est à la fois auteur et modèle. Ainsi, c'est avec ce livre qu'il a commencé à se retrouver "de l'autre côté". Fraise et Chocolat s'inscrit dans ce processus, et le personnage de Frédéric continue à vivre sa vie à travers mes albums...
Par rapport à ce parti-pris autobiographique, quel est votre garde-fou ? La limite à ne pas dépasser ? A quel moment vous décidez que telle ou telle chose ne peut pas être racontée ?
La seule question que je me pose c'est: "Est-ce que ça mérite d'être raconté ?". Si je considère qu'un événement, même "intime", vaut la peine, alors je fonce. Avec l'expérience, j'arrive de mieux en mieux à faire la séparation entre ma vie privée et mon travail, ce qui me permet d'aller plus loin. Pour moi, le seul "garde-fou" valable en autobiographie c'est la lucidité qu'on porte sur ses propres capacités artistiques. Parfois, il faut accepter le fait qu'on est incapable de raconter tel ou tel événement parce qu'on n'a pas assez de recul, d'expérience ou de talent.
Qu'est-ce que le dessin pour vous ? Un exutoire quotidien ? Un truc spontané ? Ou bien est-ce que vous réfléchissez beaucoup avant de vous mettre au travail ?
Depuis Fraise et Chocolat, j'essaie de ne pas faire de crayonné, de travailler le dessin comme une écriture. Bien sûr, je fais toujours des croquis de mise en place, très sommaires. Et quand je dois dessiner des choses un peu compliquées ou inhabituelles, je m'appuie sur des photos de repérage. Puis je me laisse aller, j'improvise. Ce que j'aime par dessus tout, c'est me surprendre moi-même en dessinant. Je crois qu'arriver à se faire rire ou pleurer en dessinant est très bon signe, on peut alors espérer que le lecteur va suivre.
Je lisais sur votre site internet que vous avez récemment refusé de participer au concours des "Jeunes Talents de la BD", que vous avez demandé à être retirée de la sélection.
Comme je l'ai expliqué dans mon premier courriel aux organisateurs, repris en partie sur mon site, je n'admets simplement pas que des œuvres par essence uniques et singulières soient jugées et soumises à une hiérarchie. Mais ils n'ont pas voulu accéder à ma demande et ont préféré me reléguer "automatiquement" à la dernière place. C'est pourquoi j'ai tenu à faire un petit communiqué sur mon site pour expliquer tout cela.
Ce n'est tout de même pas un acte anodin, ces concours restent tout de même très prisés auprès des dessinateurs français. Est-ce que vous pensez que le fait d'habiter au Japon vous donne un peu plus de recul, vous permet d'être un peu moins en attente vis à vis de ce genre de concours ?
Mille et une raisons poussent les auteurs à accepter les prix. Le besoin de reconnaissance, l'argent, la pression des éditeurs, l'indifférence, la facilité, la vanité... Mais je pense qu'il existe seulement deux types de refus. Le refus sur la forme (l'auteur n'est pas d'accord avec la composition du jury, il ne se sent pas valorisé par les autres œuvres en compétition, etc.) et le refus sur le fond, sur le principe même des prix. C'est dans ce dernier cadre que ma démarche s'inscrit et mon refus n'a donc rien à voir avec ma situation géographique.
(Suite et fin ICI)
Ces dernières années, on a eu droit à beaucoup d'artistes féminines qui parlaient de sexe, mais globalement d'une manière très revancharde et amère, voire violente, je pense à Catherine Breillat, Virginie Despentes, Catherine Millet. C'est assez courageux de votre part de se placer après ça sur le terrain de la naïveté, sur un retour vers des valeurs plus simples, limite fleur-bleue.
On me demande souvent ce que je pense de ces trois auteures... Je me suis intéressée de près à leur travail et il y a des choses que j'apprécie, d'autres moins. Je ne trouve pas que Catherine Millet soit violente, au contraire, ce qui m'a frappée dans son livre c'est l'impression de sérénité qui s'en dégage.
Cependant, je ne vois pas pourquoi vous parlez de "courage". J'ai juste dessiné ça comme je le sentais.
Si vous ne vous êtes pas positionné contre ces auteurs, vous vous êtes tout de même positionné contre l'époque.
Je ne sais pas si je l'ai fait consciemment, mais comme je le disais plus haut, il y a beaucoup de choses qui m'insupportent, le sexe comme objet de consommation ou de scandales, l'hypocrisie avec laquelle on en parle, etc. Fraise et Chocolat essaie plutôt de raconter une histoire d'amour toute simple, presque idéale.
Quel effet a eu le fait d'évoquer au grand public votre vie sentimentale, vos doutes, vos questionnements sur votre vie sentimentale ?
Frédéric et moi y étions préparés bien sûr, nous y avons pensé dès le départ. Nous en parlons beaucoup, ça demande beaucoup de complicité. C'est devenu "notre truc à nous"...
Comment a réagi Frédéric face au fait de se retrouver de l'autre côté ?
Ce n'est pas la première fois. N'avez-vous pas lu Mariko Parade, réalisé en collaboration avec Kan Takahama ? L'album est paru en 2003, il rassemble des histoires courtes de Frédéric parues initialement dans divers supports, sur plusieurs années, mais toutes créées avec le même modèle, Mariko. Ces histoires sont reliées entre elles, englobées dans une fiction dessinée par Kan, qui s'approprie pour l'occasion les personnages de Frédéric et Mariko. L'ensemble forme un récit cohérent, où Frédéric est à la fois auteur et modèle. Ainsi, c'est avec ce livre qu'il a commencé à se retrouver "de l'autre côté". Fraise et Chocolat s'inscrit dans ce processus, et le personnage de Frédéric continue à vivre sa vie à travers mes albums...
Par rapport à ce parti-pris autobiographique, quel est votre garde-fou ? La limite à ne pas dépasser ? A quel moment vous décidez que telle ou telle chose ne peut pas être racontée ?
La seule question que je me pose c'est: "Est-ce que ça mérite d'être raconté ?". Si je considère qu'un événement, même "intime", vaut la peine, alors je fonce. Avec l'expérience, j'arrive de mieux en mieux à faire la séparation entre ma vie privée et mon travail, ce qui me permet d'aller plus loin. Pour moi, le seul "garde-fou" valable en autobiographie c'est la lucidité qu'on porte sur ses propres capacités artistiques. Parfois, il faut accepter le fait qu'on est incapable de raconter tel ou tel événement parce qu'on n'a pas assez de recul, d'expérience ou de talent.
Qu'est-ce que le dessin pour vous ? Un exutoire quotidien ? Un truc spontané ? Ou bien est-ce que vous réfléchissez beaucoup avant de vous mettre au travail ?
Depuis Fraise et Chocolat, j'essaie de ne pas faire de crayonné, de travailler le dessin comme une écriture. Bien sûr, je fais toujours des croquis de mise en place, très sommaires. Et quand je dois dessiner des choses un peu compliquées ou inhabituelles, je m'appuie sur des photos de repérage. Puis je me laisse aller, j'improvise. Ce que j'aime par dessus tout, c'est me surprendre moi-même en dessinant. Je crois qu'arriver à se faire rire ou pleurer en dessinant est très bon signe, on peut alors espérer que le lecteur va suivre.
Je lisais sur votre site internet que vous avez récemment refusé de participer au concours des "Jeunes Talents de la BD", que vous avez demandé à être retirée de la sélection.
Comme je l'ai expliqué dans mon premier courriel aux organisateurs, repris en partie sur mon site, je n'admets simplement pas que des œuvres par essence uniques et singulières soient jugées et soumises à une hiérarchie. Mais ils n'ont pas voulu accéder à ma demande et ont préféré me reléguer "automatiquement" à la dernière place. C'est pourquoi j'ai tenu à faire un petit communiqué sur mon site pour expliquer tout cela.
Ce n'est tout de même pas un acte anodin, ces concours restent tout de même très prisés auprès des dessinateurs français. Est-ce que vous pensez que le fait d'habiter au Japon vous donne un peu plus de recul, vous permet d'être un peu moins en attente vis à vis de ce genre de concours ?
Mille et une raisons poussent les auteurs à accepter les prix. Le besoin de reconnaissance, l'argent, la pression des éditeurs, l'indifférence, la facilité, la vanité... Mais je pense qu'il existe seulement deux types de refus. Le refus sur la forme (l'auteur n'est pas d'accord avec la composition du jury, il ne se sent pas valorisé par les autres œuvres en compétition, etc.) et le refus sur le fond, sur le principe même des prix. C'est dans ce dernier cadre que ma démarche s'inscrit et mon refus n'a donc rien à voir avec ma situation géographique.
(Suite et fin ICI)
3 commentaires:
Tiens... Même pas un lien vers d'où vient cette image.
Un manque de tact ou un oubli ?
Ce n'est ni un oubli ni un manque de tact, il suffit aux gens de cliquer sur l'image pour voir l'image en grand, et ainsi découvrir son URL, donc son origine.
excellente interview, fine et douce, tout en étant dans le refus du banal. si vous permettez, j'en ferais mention sur notre site http://autofiction.org pour lequel je vais faire une notice sur cette fameuse auteur et dessinatrice que je viens de découvrir grâce à mon intérêt aux autofictions.
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