Est-ce que cette volonté de faire sens à travers un montage très rapide et un choix d'images hyper sélectif était une volonté d'articuler le moins possible ton discours, ou est-ce que c'était une volonté de trouver une équilibre entre un "savoir faire" et la recherche d'une certaine urgence ?
Avant de commencer le film, j'avais déjà l'esthétique en tête (même si je n'aime pas trop ce mot), je sentais que ça allait passer du coq à l'âne, que ça allait être très rapide, avec des points de coupe assez brutaux. Après, j'ai plus abordé le montage comme une espèce d'improvisation, comme une espèce de parasitage rythmique. Effectivement, y'a des moments où il y a vachement de sens, mais finalement c'est venu assez naturellement. Ca a été très "intellectualisé" en amont, puis dès que j'ai eu les rushs et que j'ai commencé à monter, c'est venu très naturellement, sans travailler d'après un argumentaire bien précis.
Le résultat est parfois jouissif en même temps que très frustrant. Les plans et les scènes sont si courts qu'on souhaiterait souvent que tes "personnages" s'expriment un peu plus. Tout en sachant que s'ils s'exprimaient plus, tu perdrais en chemin cette urgence qui traverse le film.
Le film a un peu les qualités de ses défauts. Etant donné que j'avais énormément de rushs, c'était quand je "rajoutais" qu'il me semblait que je perdais quelques chose, que le film commençait à devenir "normal", comme si je cherchais à vouloir marcher sur des plates bandes plus conventionnelles. J'ai donc plutôt fait le choix de la vitesse... Peut-être pour être dans un geste, pour ne pas être dans une position confortable où finalement on arrive à résumer les choses, à facilement les interpréter. Je voulais être dans quelque chose de plus vivant, de plus mouvementé, un peu comme quand on est dans une voiture et qu'on voit les choses le temps que la voiture passe devant. Dès que ça faisait un peu "personnage", un peu trop "scénario", ou un peu trop "cinéma", ça me gênait.
Finalement, je trouve que le film fait surtout sens sur la longueur. Beaucoup de docu fonctionnent comme une accumulation de signes et de sens, se construisent brique par brique comme un assemblage/montage d'idées. Alors que dans le cas d'APPELLE CA COMME TU VEUX, je trouve que le sens finit simplement par traverser le film, sans qu'on puisse dire que le discours demeure dans tel ou tel enchaînement de plans.
Pour moi c'est une vraie qualité dans ce film.
Si c'est le cas, pour moi aussi alors.
Tu veux dire que le sens n'est pas schématique, qu'il apparaît presque malgré nous, à la limite?
Tout à fait.Je pense que c'est la position de départ qui a permis ça, le fait de penser en terme de caméra, pas en terme de cinéma, de partir de ces envies pseudo-amateurs. Avec le recul, je me rend compte qu'on a beaucoup réfléchis à la caméra. J'ai aussi pas mal pris la tête aux gens qui étaient avec moi pendant des heures. Il me semblait que ce qui était important c'était la caméra, que le cinéma en soit n'était rien.
Souvent on dit que la caméra est à tel endroit. Mais moi je me disais "non, la caméra est entre telle et telle chose, ainsi il y a toujours un rapport". La place de la caméra est la somme d'un rapport, mais ces rapports changent en permanence. Peut-être que quelque part, l'envie de vitesse vient de là.
Ce sont vraiment ces réflexions préliminaires qui ont fait le film, et les quelques films que j'ai pu faire à l'école m'ont permis d'affirmer cette démarche.
Comme le choix de ne pas faire de choix entre fiction et documentaire ?Oui. C'est dramatique pour moi de devoir faire le choix, d'autant plus que ce ne sont pas des catégories qui existent vraiment. Il y a beaucoup d'écoles où on te demande de faire ce choix. A l'ESAV, il n'y a pas ce choix à faire. Ce n'est jamais abordé dans ces termes là, et ça m'étonne toujours que les gens choisissent l'un ou l'autre. "Je vais faire une fiction"... Je ne sais pas ce que ça veux dire.A la FEMIS par exemple, tout est pensé en ces termes là. Contrairement à l'ESAV. Il s'agit de deux écoles complètement différentes : l'une est une usine à former des techniciens et des metteurs en scène pour la télé et le cinéma français, et l'autre est une école où les élèves sont avant tout invités à s'exprimer.Oui, c'est pour ça que j'ai voulu faire l'ESAV, sinon je crois que ça m'aurais saoulé très très vite.Depuis Diabologum, et plus spécialement depuis Programme, comment ton discours est-il accueilli autant auprès des médias qu'auprès du public ? Est-ce que tu as déjà été confronté à des réactions négatives vis à vis de la violence du discours ?Y'a pas mal de gens par rapport à PROGRAMME qui trouvaient ça très prétentieux. Surtout par rapport aux textes, vu que c'est un discours assez tranché. Après c'est toujours pareil, dès que tu commences à tenter d'expliquer la société, on te tombe assez vite sur le râble, tu passes vite pour quelqu'un d'arrogant. Ce sont les seuls retours négatifs que j'ai eu et qui m'ont un peu gonflé, étant donné que je ne me considère pas comme quelqu'un de prétentieux. D'un point de vue extérieur, je comprenais leur réaction. Après tout, quand tu tombes sur un discours comme celui-ci, c'est vrai ça peut t'énerver dans un premier temps. Moi, j'espérais surtout que les gens finiraient par être contents d'avoir étés déstabilisés. On m'a aussi beaucoup dit qu'il n'y avais pas assez d'humour dans PROGRAMME. Trop lourd, trop monolithique. Mais très honnêtement, je n'ai pas l'impression de choisir ce que je fais. Je m'exprime de la manière que je peux, avec ce que je trouve. Et il se trouve que dans l'humour je ne trouve pas grand chose (rires). Ca vient de mes possibilités à moi, je ne peux pas faire non plus ce que je veux. Je ne suis pas un génie qui réussi dans tout les domaines. Je suis la voie à travers laquelle je suis capable de faire quelque chose. L'art a quand même cette chance d'être un langage neutre, où y'a pas de règles, on peux arriver à inventer des choses et c'est en inventant qu'on arrive à participer à nouveau au réel, au présent. La représentation du monde elle est là en permanence, et si on ne s'y colle pas, c'est une autre représentation qui va gagner. Donc les critiques, au fond je m'en fous un peu, car je n'ai pas vraiment le choix de ce que je fais.Mais autour de toi, par exemple. Avec tes proches. Est-ce que c'est dur d'être l'ami, la petite copine, le père ou la mère de Arnaud Michniak ?(Rires) Y'a des gens dans ma famille qui ne comprennent pas bien ce que je fais, qui me conseillent plutôt d'aller dans une voie plus... vendeuse. Globalement, mes amis comprennent... Sinon ça ne serait peut-être pas mes amis.... C'est un peu compliqué... Y'a ceux qui ont des comptes à régler avec la société, et y'a ceux qui n'en ont pas, qui n'y pensent pas ou qui ont d'autres choses à faire. Ceux qui ont des comptes à régler ça leur parle car ils sentent bien que moi j'en ai aussi. Par contre, les autres se demandent souvent qu'est-ce que j'ai, qu'est-ce qui m'arrive... Et là c'est délicat, tu vas pas te mettre à leur expliquer pourquoi à ton avis ça va pas, ou pourquoi tu as envie de dire ce genre de choses. C'est dur de se justifier. De toutes façons je n'aime pas me justifier...Tu dois tout de même te justifier sur tes choix de représentation du réel.Oui mais ça reste dans un discours de spécialistes. Ce genre de chose doivent se justifier. Comme on disait tout à l'heure, toute forme d'expression est une forme de lutte, parce que tu proposes un autre rendu du réel. La lutte est donc inévitable. Même pour ceux qui n'en tiennent pas compte, ils participent tout de même à une esthétique, à une façon de dire les choses, donc quelque part ils ont tout de même faits un choix malgré eux.Mais il y a des gens qui n'abordent pas du tout les choses comme ça, tu sors ce genre de truc et on te prend tout de suite pour un intello, on trouve que tu parles beaucoup mais tu ne fais pas grand chose.En dehors de moi, c'est dur de trouver la justification. Je vois... Tu ES la justification.
(La suite demain)
Photo I = Romain Carcanade
Photo II et III = Laurent Baillet (laurent.baillet(at)tasteofindie.com), MJC Pichon, Nancy, 2007/04/06.