vendredi 20 juillet 2007

ARNAUD MICHNIAK * INTERVIEW PART II

Et si je te dis que pour moi, tu as réalisé un film sur la "Pornographie du Réel".
Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Je pense à la relation que tu peux avoir avec l'image pornographique, avec cette image censée représenter "l'expérience sexuelle", alors qu'elle ne correspond en rien à l'image que tu t'en fais, à l'expérience telle que tu peux la vivre. En regardant APPELLE CA COMME TU VEUX, j'ai eu cette impression d'ouvrir une fenêtre sur le Réel, et de me rendre compte qu'au fond, la vraie pornographie n'entretient aucun rapport avec ces images crues que tu as produit, mais qu'au contraire, elle EST toute entière ce réel qu'on a tous les jours devant les yeux et qu'on se sait plus regarder.

(photo : Romain Carcanade)

C'était l'envie, ouais, d'essayer de mettre un coup de hache dans la vitrine. Ce qui m'a aidé c'est que j'ai vu des films qui m'ont pas mal conforté dans les choses qui naissaient à ce moment là dans mon esprit. C'était plutôt du cinéma qu'on pourrait qualifier de "pseudo amateur"... Je ne sais même pas si on peut parler de cinéma... C'était plutôt des films exprimants cette idée que le film est plus la trace d'une expérience dans le monde qu'une expérience romanesque en soit. Parmi eux il y a eu les films de JEAN ROUCH, je le cite un peu dans les textes du DVD. JEAN ROUCH n'était pas un cinéaste à la base, mais plutôt un scientifique (un ethnologue, plus précisément, ndlr) qui est partie en Afrique avec une caméra. La caméra lui sert donc vraiment à découvrir quelque chose.
Il y a eu aussi les films du GROUPE MEDVEDKINE. C'était un groupe d'ouvriers qui, suite à une rencontre avec CHRIS MARKER, ont réalisés des films avec le matériel qu'il a eu l'intelligence de leur prêter. Pareil, dans ces films là j'ai retrouvé le même rapport que dans les films de ROUCH, où il n'y a pas cette séparation entre la fiction et le documentaire, où l'on assiste à quelque chose construit dans le réel, en même temps que la représentation de ce réel là se construit sous nos yeux. C'est un peu plus futile, mais j'avais aussi vu un film de la série CINEASTES DE NOTRE TEMPS consacré à CASSAVETES qui m'a beaucoup marqué, où il disait "Ce qui compte pour moi ce n'est pas le cinéma, c'est les gens". Et quand on lui demande de définir le cinéma, il répond que "le cinéma c'est un mode de vie". Bref, tout ça m'a conforté dans cette position, d'autant plus qu'à ce moment là, je n'étais absolument pas dans une envie d'exprimer un univers personnel, de créer une esthétique. J'en avais vraiment rien à foutre de ça, j'étais vraiment dans un rapport au monde, à notre époque, où comme tu disais, à la représentation qui préside aujourd'hui de notre époque. Je voulais vraiment faire en sorte de donner une autre représentation du monde qui puisse jurer avec la représentation officielle.

D'autres choses t'ont questionné ?
Ouais, la Télé Réalité. J'aime beaucoup l'esthétique des castings. Au moment où c'est arrivé sur les écrans, en regardant les castings, j'ai eu l'impression que pour une fois, bien que ce soit très encadré, très manipulé, on était face à une vraie "expression humaine", alors que partout ailleurs, elle était cadenassée. Dans ces séquences, il y avait quelques sursauts, des choses qui se passaient vraiment au moment où on le voit, et en même temps que ça se passe, ça devient une image, quelque chose à regarder. Plein de choses m'ont à cette époque conforté dans mes décisions.
Mêm
e par rapport à mon expérience de spectateur ! Prenons un exemple : je regarde la télévision et il y a au même moment un bon film et un reportage sur tel événement réel qui passent. Eh bien naturellement, je vais plus avoir envie de regarder le reportage que le film, aussi bon soit-il, car dans le reportage il y a quelque chose qui touche au réel, à notre société, à notre époque. Tout ça me faisait réfléchir, puis j'ai fini par me dire que tout cela était un problème de forme, de mise en forme. Je me suis dit "c'est pas ça qui t'intéresse, c'est pas ça qui va faire que ton film va atteindre ce que tu veux atteindre". Cela ne fonctionnera que si à l'intérieur du film il y a ce réel, et non pas des "effets de réel".
A partir de là j'ai commencé à réfléchir en terme de processus, et je me suis dis qu'il fallait que ce film soit une expérience de vie avec un tournage assez long, que c'était le seul moyen pour que le réel apparaisse.


Même dans les documentaires les plus réalistes, ce Réel dont tu parles ne répond pas toujours présent.
Tu vois, ça c'est un truc qui me bloquait vachement : la place du sujet dans le documentaire. Je pense qu'il ne devrait pas y avoir de sujet dans les documentaires. Pour être Réel, il ne faut pas qu'il y ait de sujet. A partir du moment où il y a un sujet, tu commence à rentrer dans des modalités d'interprétations, de décompositions de ce sujet. Ma réflexion elle était vachement la dessus, sur l'emploi de la caméra et la représentation. Donc ton truc sur "La pornographie du réel", c'est ta façon de le dire, mais c'était vraiment mon questionnement.
Par la suite, j'ai trouvé cet argument scénaristique du vol de la caméra et je me suis dis que j'avais trouvé le bon truc. C'était suffisamment large, et puis il y avait cette idée de la réappropriation. Ca représentait pour moi cette envie de créer une nouvelle image, une nouvelle représentation de ce réel. Ca me permettait aussi de faire un film amateur, qui ne rentre pas dans ces codes d'interprétations.
Beaucoup plus qu'en musique, le cinéma est hyper quadrillé, toutes les interprétations sont très huilées, c'est toujours les mêmes termes qui reviennent, la mise en abîme de ceci, de cela, on est face à des mécanismes. Et de la même manière que le réel n'est pas dans les films, le réel n'y est pas non plus dans les conversations et les interprétations qu'on donne des films, c'est juste du brodage. Il y avait donc aussi cette idée de faire un film où l'on ne puisse pas recaser aussi facilement ces interprétations, ces façons d'en parler.
La façon dont on représente le monde ça devient le monde, la façon dont on parle le monde ça devient le monde, donc c'est hyper important. Le monde évolue en même temps que sa représentation, et comme la représentation est hyper présente à cause des médias, d'internet et toutes ces choses là, tout ça nous échappe. On est en permanence pris par un langage qui renomme la réalité sans que nous puissions dire quelque chose. Enfin, tu vois, c'est un peu la somme de toutes ces réflexions qui sont à l'origine du projet.

(La suite... mardi !
Eh ouais, les bloggers aussi ont le droit de partir en week-end)

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