mardi 19 janvier 2010

INTERVIEW ANGÉLIQUE BOSIO | LLIK YOUR IDOLS

____Interview parue dans le numéro 13 du magazine Noise____

LLIK YOUR IDOLS
LA LANGUE BIEN PENDUE
D'ANGELIQUE BOSIO


"Attention à ne pas jouer au génie parce qu'on risque de le devenir", disait Salvador Dali. Ces paroles, combien de jeunes cinéastes l'ont pris au premier degré et attendent encore aujourd'hui le cul posé sur leur égo surdimentionné que quelqu'un les "découvre" ?
Angélique Bosio, elle, a préféré Faire avant de Prétendre. Favorisé l'acte au discours. Bien que Llik Your Idols ait été réalisé dans des conditions très artisanales, sans l'aide du CNC ou d'une quelconque chaine de télé, rien n'a jamais empêché le film de faire le tour des festivals du monde entier et d'être édité en DVD aussi bien aux États Unis qu'au Japon.
Alors que ce documentaire consacré au "Cinéma de Transgression" (l'équivalent cinématographique de la No Wave, avec en tête de gondole Richard Kern, Nick Zedd, Lydia Lunch) sort ce mois-ci aux éditions du Chat Qui Fume, Angélique Bosio termine simultanément son deuxième et troisième documentaire. Petite fourmi travailleuse, simple, spontanée, lucide, elle nous raconte la genèse du film, ce qui l'a poussé à sortir de la calle pour prendre la barre du navire.

Comment et quand est né le projet Llik Your Idols ? Entre le moment où tu as eu l'idée et la première projection, combien de temps s'est écoulé ?

L’idée existe depuis mon adolescence, même si elle a été imprécise et changeante. J’écoutais alors des groupes tels que Sonic Youth, Royal Trux, The Jon Spencer Blues Explosion etc. Les noms de Richard Kern et Nick Zedd notamment sont donc apparus à cette époque, et l’un de mes amis (JB Hanak de Ddamage, qui a fini par faire la musique du documentaire) m’a offert une VHS pirate de leurs films, édités en France par Haxan. Par la suite, j’ai pensé écrire un livre, des articles, organiser une rétrospective etc. Jamais rien de concret, mais l’idée était là. Lorsque j’ai commencé à travailler dans l’audiovisuel, l’envie s’est naturellement concrétisée sous la forme d’un film documentaire, parce que j’avais besoin d’être "créative", de faire quelque chose de mes mains. Mon travail d’assistante de production ne me suffisait pas, il me fallait combler quelque chose. C’était pendant l’été 2002. J’ai décidé de contacter les personnes impliquées dans le mouvement dit du Cinéma de la transgression, et tout s’est passé en quelques semaines : j’ai écrit des emails, réservé des billets, compté sur ma chance, et suis partie pour New York en toute inconscience. Puis les choses se sont compliquées, plusieurs sociétés de production se sont succédées, l’histoire est assez complexe… Le financement a posé de gros problèmes. Disons qu’il a été inexistant. Au bout de 5 ans, le projet a été finalisé et projeté au Palais de Tokyo dans le cadre de l’exposition Steve Parrino. Puis il m’a fallu deux ans encore pour régler des problèmes causés par des petits producteurs véreux, l’envoyer en festivals, et le vendre.

Quelle "vie" a eu le film jusque là ?

Une vie chaotique mais joyeuse… Il a parcouru les festivals dans différents pays, aux Etats-Unis, en Corée, en Australie etc… Le parcours habituel. Comme je l’ai dit, j’ai du me battre sur un plan légal en raison de manœuvres douteuses de la part d’une boite de production française. Aujourd’hui, le documentaire est sorti en DVD aux Etats-Unis, au Japon, et prévu en Europe pour le 6 octobre prochain chez Le Chat Qui Fume, et plus tard chez Monitor Pop. L’accueil a été plutôt bon, je dirais, de mon expérience dans les festivals et d’après les articles que j’ai pu lire. Personne ne m’a encore jeté des pierres en tout cas.

(angélique bosio)

Llik Your Idols est ton premier film. Comment en es-tu venue à la réalisation ? Quel est ton parcours ?

Je n’ai pas de culture cinématographique, à la base. Je viens d’une famille qui ne s’intéresse pas à la culture en général. Ce qui me passionnait, c’était la musique et la littérature, pour faire simple. Or je ne voulais pas travailler dans ces milieux, j’ai donc fait une école de "management culturel", à l’aveugle, désireuse que j’étais de travailler dans l’art contemporain, ou dans le cinéma. Honnêtement, je ne m’y connaissais que très peu, j’avançais à l’aveuglette. Finalement j’ai rencontré Dominique Tupin (Mondo Films) pour qui j’ai quitté mon école puis j’ai travaillé comme assistante de production, pour faire simple de nouveau. La réalisation était une envie de m’essayer à quelque chose, mais pas un acte de foi. Je me sentais libre car je n’y connaissais rien. Je ne me considère pas comme une réalisatrice. J’essaie, j’apprends… En revanche je prends très au sérieux ce que je fais. Et je crois qu’avec Le Chat Qui Fume, on a trouvé un équilibre instable qui nous satisfait.

Combien a couté la production d'un film comme Llik Your Idols ? Comment arrives t-on aujourd'hui à se faire financer un tel film, sur un sujet qui, j'imagine, ne doit pas passionner grand monde au CNC ?

Je ne saurais pas le dire précisément. Je peux donner un chiffre d’après quelques factures, mais il a coûté à la fois peu cher pour un tel documentaire (je n’ai payé aucun droit sur les films, tout m’a été gracieusement mis à disposition), et très cher en termes de dommages collatéraux (conséquences sur ma vie privée et professionnelle, bataille juridique, etc.). Je l’ai financé moi-même, n’ayant jamais obtenu d’aide ou de pré-achat. Mais je pense que tu te trompes un peu sur le CNC. Je ne suis pas passé loin de l’aide au début. Et il faut avouer que j’ai fait les choses à l’envers. J’ai commencé à tourner avant toute autre chose. La difficulté est surtout de ne pas avoir eu de réel producteur ou collaborateur. Avec une vraie implication, un réseau etc. Et je pense qu’il y a eu "erreur" de timing. Enfin, j’ai fait toutes les erreurs possibles et imaginables avec ce film. Mais tant mieux dans un sens.


Ton film s'appelle Llik Your Idols, c'est un clin d'œil à un autre documentaire dont le sujet est assez proche du tiens et qui se nomme Kill Your Idols. Est-ce une façon de créer un lien de filiation, une façon de faire allégeance ? N'as-tu jamais eu peur qu'en choisissant ce titre, tu ai du mal à tirer ton film hors de l'ombre de Kill Your Idols ?


Pas du tout, ce serait plutôt un clin d’œil au slogan Punk et au morceau de Sonic Youth (auxquel se réfère lui-même S.A. Crary d’ailleurs), mais le titre a été choisi en 2002 et même avec la sortie du documentaire de Scott, je n’ai pas voulu changer mon titre. Ce n’est donc ni un lien de filiation, ni une manière de faire allégeance !!!!
Redonnons à Richard Hell et aux autres ce qui leur appartient.

A t-il été simple de rentrer en contact avec tous ces gens qui, aujourd'hui, sont devenus pour certains des artistes contemporains très reconnus ?

Oui, très simple. Un email, et tous ont plus ou moins répondu immédiatement. Ils ont été très disponibles.

Les avant-gardes sont souvent des mouvements éphémères qui finissent très souvent par influencer les structures qu'ils souhaitaient initialement combattre. C'est une des grandes leçons de l'histoire de l'art du XXème siècle. L'avant-garde New-Yorkaise des années 80 n'a pas échappé à ce phénomène...

Je pense que ce n’est pas une leçon du 20ème siècle mais un phénomène des plus naturels, et vieux comme le monde. Ce qui est nouveau et perturbateur devient la norme, et ainsi de suite. C’est un cycle infini. Cela marche avec tout. Notamment en art. Ce qui m’intéresse avec ces artistes c’est justement le fait que Kern par exemple soit publié aujourd’hui par Taschen et que l’on regarde son parcours sur le long terme, non en regardant avec nostalgie ce qu’il a été à 25 ans. Je suis bien plus fascinée par la survivance, quoi qu’elle implique (car elle implique des choses différentes avec Kern et Zedd par exemple) que par le coup d’éclat sublimé par les autres. L’avant garde n’est qu’un début de quelque chose d’autre.

(joe coleman)

Dans ton film, seul Nick Zedd semble vouloir continuer envers et contre tout à tourner des films, mais plus par dépit que poussé par un réel enthousiasme. C'est certainement le personnage le plus touchant étant donné que c'est celui qui n'a jamais vraiment réussi à percer et qu'il émane de lui pour cette même raison une réelle mélancolie.
En revanche, ceux qui ont réussis ne sont pas pour autant montrés comme des opportunistes. Etais-ce un désir de les montrer tels quels ? Ou bien as-tu eu simplement la chance de t'intéresser à des gens qui n'ont jamais eu recours à de vicieux calculs pour réussir ?

Je me suis intéressée à un pseudo mouvement pour pouvoir parler de ces personnes, à travers lui. Ce mouvement n’est qu’un exemple de postures artistiques ou humaines, de choix de vie. Il me permet de raconter l’histoire d’une ville, et de ses protagonistes, mais je ne le considère pas comme un véritable mouvement. En tant que tel, il ne m’excite pas assez pour en faire tout un documentaire. Tous continuent, pas seulement Nick Zedd. Certes il continue de faire "la même chose" (je n’aurais pas parlé de dépit du tout) mais il incarne un aspect des choix dont je parle. Kern en incarne un autre. Il n’y a pas de jugement moral ou artistique de ma part. Mais pour moi, ils me permettent tous ensemble de parler des décisions qui font évoluer notre travail, notre vie etc. car ils sont tous différents, partant d’un même point de départ. Je n’ai pas eu le désir de les montrer d’aucune manière que ce soit, j’ai voulu leur poser certaines questions et les montrer le plus naturellement possible. Je n’aurais pas eu de problèmes à mettre en valeur des calculs pervers potentiels. Pour toi, il n’y en a ici aucun. Pour d’autres, Kern a fait des choix douteux qui ont amoindri son travail (je ne vois pas les choses comme cela, soit dit en passant). Par exemple, la seconde édition de NY Girls, chez Taschen, était dépendante de sa décision d’enlever les photos sanglantes de mâles. Il a accepté. Je ne juge pas, comme je l’ai dit, je présente les faits, les avis divers, et je dis que c’est une manière de survivre, j’en regarde ensuite les conséquences. Si je m’intéresse à Kern, c’est qu’il a survécu à des choses, fait perdurer son travail. Chez toutes ces personnes, il y a, derrière l’aspect auto-destructeur de cette période, ou de la nature de certains, un dynasmisme de vie incroyable.

Il me semble que ces mouvements musicaux/culturels nés aux Etats-Unis dans les années 80 tels la No Wave et le Hardcore US ont étés les derniers authentiques mouvements contre-culturels ou avant-gardistes du monde contemporain. Depuis, j'ai la sensation que tous les mouvements contre-culturels, quels qu'ils soient, sont soient tués dans l'œuf, soient sont condamnés à faire ressortir quelques vieux squelettes du placard, soient n'expriment rien d'authentique, copmme s'ils avaient perdus toute spontanéité en ayant assimilé les façons de faire et les leçons des mouvements qui les ont précédés. Qu'en penses-tu ?

Parce que tu regardes avec nostalgie et colère. Sinon, tu verrais que d’autres choses se passent, qu’elles te touchent ou non, mais que d’autres personnes tentent des choses. Le lieu n’est plus le même, le contexte non plus, donc les formes d’expression non plus etc. Je ne peux pas parler de cette manière, car avant tout, je ne peux pas considérer que je maîtrise et connaisse tout ce qui est fait. Qui connaissait les films de Richard Kern en 83 ? Les films de Zedd en 79 ? Les choses changent et tant mieux. Et puis je ne recherche pas systématiquement la contre-culture. Ce serait un piège.

(thurston moore)

Il y a t-il des mouvements qui te passionnent aujourd'hui ? Des mouvements qui te semblent avoir autant d'impact sur notre époque que cette scène que tu nous décris dans Llik Your Idols ? Ou bien te sens-tu condamnée à errer dans de vieux musées pour satisfaire ta soif d'authenticité ?

Je ne suis pas séduite en général par l’idée de mouvement. Je pense que ce sont généralement des alliances humaines, des questions d’affinités, de réseaux, mais pas une armée qui mérite d’être considérée comme une œuvre en tant que telle. Je suis plus intéressée par les personnalités qui en émergent. Je ne peux pas non plus chercher des équivalents en terme d’impact ou autre, je ne pense pas de cette manière. Je ne cherche pas des choses semblables. De plus, j’aime beaucoup errer dans de vieux musées. Je veux apprendre un maximum de choses, et n’ai aucun mépris pour ce qui est poussiéreux. L’authenticité n’a à mon sens pas plus de crédit chez de jeunes artistes que dans de vieux musées. Je ne comprends pas ce que le mot vient faire là. Je ne sais pas quoi te dire… J’attends avec impatience d’aller voir les œuvres d’Ana Mendieta, dont je n’ai vu qu’une poignée de photos et une seule vidéo, le mois prochain. Son travail me touche. Je le trouve intemporel, plein de thèmes qui me touchent très directement et profondément. Je développe une certaine curiosité pour la boxe, à travers Harry Crews notamment. Je m’intéresse beaucoup à la photographie, avec des gens comme Sally Mann etc. Beaucoup de choses me touchent, m’intéressent, soulèvent des questions. Toutes ces choses ont un impact différent mais formidable.

Quels sont les événements qui t'ont menés dans la litière du Chat Qui Fume ?

Ils m’ont enlevée, séquestrée et fait subir des sévices que je ne saurai nommer, mais qui m’ont convaincue de rester auprès d’eux.

Outre défendre la sortie de Llik You Idols en DVD, as-tu d'autres projets en cours en terme de réalisation?

Oui, deux documentaires. L’un sur Bruce Labruce (cinéaste/photographe underground issu de la scène queer-punk canadienne, Ndr), que nous terminons début octobre, produit par Le Chat Qui Fume, l’autre sur Fifi Chachnil (costumière et créatrice de mode, Ndr), également produit par le Chat. Je ne peux pas en dire grand chose pour le moment, je suis superstitieuse… Et je compte bien faire de la photo un maximum l’an prochain, quand j’aurai plus de temps à y consacrer.




LLIK YOUR IDOLS
Un film d'Angélique Bosio avec Richard Kern, Lydia Lunch, Bruce LaBruce, Thurston Moore, Joe Coleman, Nick Zedd...
Durée: 1h10 / Langue: Anglais / Sous-titres: Français
Bonus: Interview Angélique Bosio / Court métrage Police State de Nick Zedd ! Court métrage War is menstrual envy de Nick Zedd / Court métrage Fingered de Richard Kern / Court métrage You kill me first de Richard Kern / Bandes-annonces
Édité au Chat Qui Fume
www.lechatquifume.com

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