jeudi 8 mars 2007

INTERVIEW IVAN BRUN * PART III

Dans LOWLIFE, tu parles pourtant du Punk comme d’un mouvement sur le déclin.
Cette histoire je l’ai écrite au milieu des années 90. A cette époque, j’avais l’impression que la scène avait tendance à se vider de sa substance. De plus, tout ce qui était "guitare électrique" était totalement ringardisé au détriment de la techno, le punk n’était plus qu’un bastion de purs et durs, d’acharnés. C’est toujours le cas, remarque. Y’a peut-être des gens qui sont récemment revenus vers cette musique, mais ça reste quelque chose d’anecdotique. Ce mouvement n’apporte plus grand chose de significatif aujourd’hui.

Et si le versant politique du mouvement Punk s'était déplacé dans d’autres champs ? Je pense à l’arrivée des mouvements altermondialistes dans les 90's, par exemple, qui représente une sorte de "prise de conscience généralisée" telle que l
e mouvement Punk n'en avait jamais rêvé. Dénué de sa signification politique, ne subsiste plus du mouvement Punk qu'une coquille esthétique.
Pour moi, originellement, le Punk c’est une sorte de réaction épidermique, un cri de révolte. Aujourd’hui le Punk ne fonctionne plus que sur des références musicales, vestimentaires. L’objet principal a été perdu en cours de route : le fait que ce n’est pas important de savoir bien jouer, d’avoir un bon son. Maintenant on se perd dans des considérations esthétiques, des choses qui aliènent le sens.

Tu as travaillé avec LIONEL TRAN sur OTAKU. Est-ce que tu parviens facilement à te mettre "au service de" ?
C’est la première fois que je travaillais avec un scénariste, ça m’a permis de mieux saisir les mécanismes de la narration, de travailler sur un projet vraiment structuré.

Est-ce que tu penses que tu pourrais facilement travailler avec quelqu’un d’autre ? Ou bien est-ce la réussite d’OTAKU repose uniq
uement sur une conjonction d’états d’esprits et d’univers avec Lionel ?
Ça vient du fait qu’avec Lionel on se connaît depuis pas mal de temps, qu’on traîne dans les mêmes milieux depuis 15 ans. On partage pas mal de points de vue, même si ce n’avons pas la même façon de les exprimer. Le fait de travailler en commun coulait de source. Au fond, j’imagine que travailler avec un scénariste doit être à chaque fois une expérience différente.

Avez-vous de bons retours sur cet album ?
Il n’y a pas eu énormément de retours. Par contre, j’ai été très surpris que beaucoup de lecteurs aient si bien saisi le fond, étant donné que dans cet album il y a pas mal d’informations qui sont livrées de façon sous-jacente.
Si on lit le bouquin au premier degré, c’est une sorte de voyage au bout de l’ennui. Tout n’est que monotonie, répétition, apathie générale.

N'as-tu pas l'impression qu'aujourd'hui, globalement, les éditeurs comme les écrivains, scénaristes et dessinateurs sous-estiment beaucoup leurs lecteurs ? Qu'on prend de plus en plus les gens par la main, ce qui expliquerait cette "crise de contenu" qui est palpable dans la littérature contemporaine, le cinéma, les journaux ?
Je ne suis pas arrivé à cette constatation, mais il faut dire que je n'ai jamais été un gros "consommateur culturel" et que je ne suis pas trop au fait des dernières sorties...
Peut-être est-ce une conséquence du phénomène de surproduction de produits culturels auquel nous assistons aujourd'hui, l'abondance de l'offre conduit à une standardisation et un appauvrissement du contenu, et à une baisse d'attention et de curiosité chez le consommateur.
Certains pensent qu'une oeuvre en apparence trop compliquée ou exigeante déroute le lecteur ou le spectateur, et que pour lui permettre de s'y retrouver, il faut mettre en place des produits ciblés, codifiés, aisément identifiables. De plus, en période de crise économique et sociale, le public est en demande de divertissement, de choses légères et "fun" pour se changer un peu les idées... Néanmoins, je pense qu'il reste encore un peu d'espace pour s'exprimer et créer sans trop rentrer dans des considérations d'ordre "marketing".

Quoiqu’il en soit, je pense qu’avec OTAKU vous avez vraiment réussis à cerner un truc concernant la dissolution de l’identité de la jeunesse japonaise contemporaine, et les rapports forcément difficiles que les Européens peuv
ent avoir avec elle.
Avant la sortie du livre, on a envoyés une copie à FRED BOILET qui aurait peut-être pu nous aiguiller, nous dire si on étaient à côté de la plaque ou pas. Mais on a jamais eu de retours de sa part. Sinon, on a utilisés pas mal d’articles de presse qui nous ont effectivement aidés à ne pas tomber dans l’anecdotique, les mangas, les robots, tout ça. Bref, tenter d’offrir une synthèse de tout ça. N’ayant pas vraiment eu l’occasion de fréquenter des japonais, il fallait que nous puissions représenter au mieux cette "crise de sens" qu’ils vivent aussi là-bas. Les bouquins de
Murakami Ryu, pas mal d’articles sur le Cosplay, le taux de suicide chez les adolescents nous ont beaucoup servis.
Finalement, OTAKU est un bouquin un peu bizarre dont on ne sait pas vraiment s’il a trouvé son public. C’est un livre atypique qui a en fait dérouté pas mal de gens.

Tu comptes recollaborer avec Tran bientôt ?
Je termine en ce moment mon album avec Albin Michel. Sinon, je n’ai pas grand chose de prévu pour la suite. De son côté, Lionel Tran s’éloigne un peu de la BD en ce moment, il explore plutôt de nouveaux territoires.

Ah oui ? Il travaille sur quoi en ce moment ?

Humm... Des livres de photos, des receuils d'images. Il travaille aussi sur sa collection NO PRESENT chez TerreNoire, ce sont des livres qui ne sont pas signés, qui tentent de dresser un portrait de la génération actuelle avec une approche un peu plus politique et sociale.

Tu es actif au sein des éditions TerreNoire ?
Non non, je ne participe pas aux activités de la maison d'édition (TerreNoire a tout de même édité deux livres d'Ivan, la réédition de "Lieux Communs" et "Panoramiques", Ndlr)

Justement, en parlant de ça, on sent dans tes planches une grande fatigue vis à vis des "communautés humaines", pourtant tu as quand même été régulièrement impliqué dans pas mal de collectifs : Organic Comix en 1989, l'Académie de la contre-Kulture à la fin des années 90. Comment vis-tu cette contradiction ?
Ahahah... J'ai eu effectivement l'occasion de fréquenter pas mal de groupes, de collectifs, mais c'est justement ces dynamiques de groupes qui finissent toujours par me lasser au bout d'un moment. Si je suis dur vis à vis du fonctionnement des communautés, c'est parceque je suis sorti déçu de toutes mes expériences. J'en suis finalement arrivé à la conclusion que je pouvais avancer au moins aussi vite de façon individuelle. Dans les collectifs, il y a toujours des problèmes de communication, d'égo, de rapports de domination, dans des mécanismes assez récurrents. Ca vient peut-être de moi, mais ces expériences m'ont toujours laissé un sentiment d'insatisfaction.
Alors que le fait de travailler en groupe devrait te permettre de dépasser ce que tu pourrais parvenir à faire à titre individuel, j'ai toujours l'impression que c'est plutôt une accumulation de défauts et d'erreurs plutôt que la libération d'un véritable potentiel. Le soucis dans les collectifs c'est quand les gens deviennent trop individualistes, qu'ils finissent par tirer la couverture à eux. Ou bien quand les gens fournissent de l'énergie alors que d'autres se laissent tirer mais finissent tout de même par récolter le prestige. Et puis le concept du "collectif" induit aussi une sorte de médiocrité, de moyenne. Si quelqu'un est trop ambitieux ou talentueux, les autres essayeront toujours de le remettre à leur niveau.
Bon, ça ne empêche pas de travailler au sein de collectifs, mais désormais je le fais de façon plus ponctuelle.
(La dernière partie ICI)

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