mercredi 7 mars 2007

INTERVIEW IVAN BRUN * PART II

Ton travail m'a toujours semblé ouvertement politique. Penses-tu, que cette politisation t'as t-elle empêché d'accéder à une certaine forme de reconnaissance, ou bien étais-ce une condition sine qua non à ta création, un truc pas négociable ?
Je traite de thèmes qui me semblent importants, c'est une condition sine qua non, cependant je n'ai pas l'impression que ça me ferme des portes. Pour la peinture ce n'était peut-être pas le média le mieux approprié pour délivrer un message. Avec le recul, je trouve que ma peinture relève plus du dessin de presse au niveau du langage, de la sémantique visuelle. Peut-être aurais-je dû commencer par là, mais c'étais de ma part une volonté d'expérimenter, d'essayer d'autres trucs.

La peinture a son langage, le dessin de presse aussi, chaque médium a ses codes, les choses sont sans doute aujourd'hui trop cloisonnées.
Ceci dit c'est un truc très Français, très Européen, car chez les Américains et dans les pays en voie de développement ils sont très attachés à une peinture figurative, à tendance narrative, beaucoup d'artistes n'hésitent pas à traiter de thèmes sociaux et politiques. En France, c'est assez mal vu, il ne faut pas mélanger art et politique. Quand j'étais aux Beaux-Arts, ils ne juraient que par l' image numérique, que par les installations vidéos, les trucs genre Bill Viola, Gary Hill... Ca poussait à mort dans cette direction, alors tu penses bien que la peinture c'était vraiment vu comme le truc totalement ringard, d'autant plus quand elle est figurative et anecdotique.

Je me rappelle d'une peinture à toi que tu avais nommé "Le Système des Objets" en référence au bouquin de Jean Baudrillard (R.I.P). Dans LIEUX COMMUNS, on y trouve une citation de Paul Virilio, dans LOWLIFE tu fais référence à Cioran. Est-ce que le champ théorique, la pensée philosophique ou sociologique t'aide à penser ton travail ?
Pendant les années 90, j'ai lu beaucoup de sociologie, c'étais une période qui me semblait assez confuse, on vivait une sorte de crise morale, les gens me semblait un peu paumés. je me sentais moi-même aussi un peu paumé, alors je lisais pas mal de sociologie afin de tenter de comprendre, de décrypter le monde dans lequel on vit, de voir comment on en était arrivés à ce stade. Aujourd'hui j'ai pris un peu de recul par rapport à tout ça, je m'en tape un peu.

En parlant de crise morale : En relisant il y a quelques jours l'album LOWLIFE, je l'ai trouvé avec le recul très "moral", à cause de cette dureté dans le regard que tu portes sur tes personnages, comme si la plupart étaient jugés responsables et méritaient leur sort.
Je trouve ce regard plutôt nihiliste dans l'ensemble, il n'y a aucune empathie, aucune compassion pour les personnages. Aucun lyrisme non plus, juste un regard froid sur la situation. J'y vois plutôt l'écho d'une certaine déshumanisation de l'époque. En fait, le fil conducteur de ces petites saynètes c'est le concept du déterminisme social, cette idée que les gens sont le produit de leur environnement, de leur condition sociale, et plus la situation se dégrade, plus ça les rend mauvais. La pauvreté les rend mauvais. Les gens ont toujours tendance à idéaliser la pauvreté, cette idée que les gens pauvres sont dignes, que ça en fait d'honnêtes travailleurs. Dans ces pages, je pensais affirmer le contraire. Je travaillais plutôt ce genre d'approche.

Justement, j'ai eu la sensation en lisant LOWLIFE que ton approche était différente à partir du moment où tu décides de mettre en scène un personnage issu d'un pays du tiers-monde au lieu d'un occidental. J'ai la sensation que tu juges plus durement les personnages Européens, comme s'ils avaient les moyens de se sortir de leur merde et qu'ils ne s'en donnaient pas les moyens. A l'inverse, les personnages issus du tiers-monde semblent pris dans une sorte de mécanisme qu'ils ne contrôlent pas et les écrasent.
C'est vrai. En ayant voyagé dans pas mal de pays du tiers-monde, je me suis rendu compte que ces gens étaient broyés dans un truc qui les dépasse complètement. Beaucoup n'ont aucun espoir de pouvoir mener une vie à peu près convenable dans leur pays, même par le biais des études. C'est assez dramatique, les classes populaires sont complètement abruties par la religion, les mass médias, les jeux télévisés débiles, beaucoup n'ont aucun recul vis à vis de leur situation et ils n'en sont malheureusement pas responsables.

On y revient, c'est en ça que je trouve que ta position très "morale", comme si tu voulais adresser un message au lecteur occidental, lui dire que nous avons tout de même avec beaucoup de volonté les moyens ici de nous sortir de ce déterminisme social.
C'est une interprétation, mais ce n'est pas quelque chose que j'ai fait délibérément. Je ne pensais même pas délivrer un message quelconque, pour moi c'était plutôt une sorte de constat. Cette méchanceté, cette agressivité qu'il y a dans le livre, c'est aussi pour secouer le lecteur.

Quel rôle a eu le mouvement Punk sur ton style, ton esthétique, ta carrière ?
Une influence assez importante, une composante majeure dans mon travail. Pour moi, ce que je fais est un pendant graphique de la musique Punk. Tu trouves qu'il y a une influence Punk dans mon travail, toi ?

Pour moi c'est assez dur à dire car je t'ai toujours assimilé à ce mouvement là, dans la mesure où j'ai connu ton travail par l'intermédiaire de ton implication musicale et graphique dans le mouvement Punk / Hardcore. C'est vraiment depuis 2001, depuis que tu as repris très sérieusement la BD que j'ai pu découvrir un autre aspect de ton travail.
C'est une composante importante de mon travail, c'est vrai, le souci c'est que le Punk fonctionne un peu en circuit fermé, un peu comme une secte (rires), et le fait de toucher aux arts graphiques me permet de toucher un public un peu plus large en dehors de la secte. Ceci dit, le ton et mon approche reste fondamentalement Punk, le fait de traiter de sujets déplaisants d'une part, l'aspect provocateur, cette envie de réveiller les consciences.

Le Punk a sûrement posé les bases de ton esthétique. Est-ce que tu essaies de t'en émanciper aujourd'hui ?
C'est vrai que j'écoute la même musique depuis bientôt 20 ans. A la longue j'aurais peut-être du m'en lasser. Des fois je m'en éloigne un peu, mais je finis toujours par y revenir. Ca me semble le mouvement culturel le plus marquant de la fin du XXème siècle, autant du point de vue de la musique que des arts visuels, que de la mode.
(La suite ICI)

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