dimanche 29 mars 2009

INTERVIEW AMAT ESCALANTE - PART I

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HARD AMAT
INTERVIEW D'AMAT ESCALANTE

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Ne vous fiez pas à sa modestie et à sa force tranquille, le jeune réalisateur Mexicain Amat Escalante distribue les coups de boule. Ca tombe bien, on est du genre à en redemander. Sorti de nulle part il y a quatre ans sans être passé par le circuit habituel des écoles de cinéma, Escalante s'est presque fait tout seul. A la "grande famille du cinéma", il préfère travailler avec sa propre famille. Aux grandes villes, aux mondanités, il préfère le calme de sa petite ville de Guanajuato. Rencontre avec un cas à part du nouveau cinéma indépendant Mexicain.


- Tes trois films questionnent le désir de vivre, le sens de la vie.
Oui, mes films questionnent le sens des choses, peut-être, mais pas comme le ferais un adolescent confus, plutôt à la manière des êtres vivants qui ont l'espoir de trouver un sens au fonctionnement de cette grand machine dans laquelle la plupart des gens se retrouvent a vivre leurs vies. J'essaie d'articuler sur l'écran ce qui me trotte dans la tête, ce qui n'est pas facile à expliquer et qui bien souvent me perturbe ou m'émeut.

- On y parle aussi beaucoup d'enfer. Pourquoi la récurence de cette image dans ton cinéma ?
Parce que je crois que l'enfer peux nous apparaître à chaque instant, et j'aime que mes personnages aient affaire a lui.

- On assiste aussi a une sorte de miracle dans Sangre. Pourtant, ton cinéma n'est en rien mystique...
Je crois qu'au Mexique, nous vivons dans un état permanent de mysticisme, et parfois de surréalisme. En fait, je dois constamment lutter contre moi-même pour ne pas mettre dans mes films trop d'éléments mystiques. Ce qui se passe dans Sangre est la seule manière que j'ai trouvé pour montrer que Diego (Cirilo Recio) rentre en contact avec ce qui pourrait être un moment de perfection et de grâce hors du monde, avant de revenir brutalement a la réalité. Ce qui est curieux, c'est que cette scène que tu mentionnes n'était pas a la base dans le scénario, et qu'elle nous est apparue sur le lieu même où nous tournions pour diverses raisons que j'aurais bien du mal a expliquer.


- Avec le recul, quel regard portes-tu sur Sangre, ton premier long métrage ?
Pour moi et le petit groupe de collaborateurs qui m'a aidé à réaliser ce film, ça a été une très bonne surprise de constater que Sangre avait fait le tour du monde. Je me rend également compte que je suis parvenu a réaliser un film sur des sujets dont je n'avais pas expérimenté personnellement. Comme le divorce, le fait d'avoir des enfants, de vivre en couple, d'être jaloux, la mort. Je crois que c'est pour cette raison que le film se déroule dans son propre monde, avec sa propre logique, qui n'est pas forcément la plus proche de la réalité pratique, mais qui correspond a ma manière de voir les choses.

- Qu'est-ce que tu as appris en réalisant Sangre qui t'as permis de rendre Los Bastardos meilleur ?
C'est très difficile pour moi de me rendre compte de ce que j'ai appris. Il y a forcément des choses que j'ai acquis, mais ce n'est pas très clair a mes yeux. Sur ces deux films, j'ai toujours fais appel le plus possible à mes intuitions et à mon instinct. Je me suis sans doutes plus reposé sur cela en réalisant Los Bastardos.

- Tu as été également assistant-directeur de Carlos Reygadas sur le somptueux Batalla En El Cielo durant cette meme période. Qu'est-ce que ca t'a apporté ?
Mon premier court-métrage et mes deux longs sont tout ce que j'ai fait, j'ai donc appris de pas mal de choses sur ce tournage. L'une d'entre elle est d'apprendre à gérer le chaos de la vie, et tenter de capturer cette atmosphère en images. J'ai appris à avoir confiance et à attendre que les choses prennent place, tout en les manipulant peu, un peu comme à la pêche. J'ai aussi appris que Carlos est une personne très généreuse et d'une grande sensibilité, cela m'a beaucoup inspiré de faire du cinéma à ses côtés. Pour moi, ça a été incroyable de recevoir autant de soutien de la part de quelqu'un que je connaissais depuis à peine un an, et qui s'est intéressé à mon travail pour ce qu'il est. Je croyais qu'au Mexique, personne ne s'aidait, à moins qu'il ne s'agisse de la famille ou par intérêt.


- On a beaucoup parlé dans les critiques (sûrement par fénéantise) des liens qui unissent Sangre aux premiers films de Reygadas. Pourtant, avec Los Bastardos, on voit bien que vos points de vue et vos préoccupations divergent radicalement.
C'est curieux parce qu'entre nous, il n'y a pas de comparaison possible. Mais peut-être est-on comme deux frères qui ne peuvent pas voir leurs similitudes. Je dis toujours que superficiellement, ce que nous sommes en train de faire n'est pas nouveau, au contraire je crois même que nous tentons de revenir a la pureté du cinéma qui nous a à l'origine inspiré. Je veux parler de certains films qui ont étés réalisés entre les années 20 et les années 70. Et même certains films contemporains.
Je pense aussi que nous faisons un cinéma personnel, et que nos films ne peuvent pas être similaires, parce qu'ils sont comme des empreintes digitales. Donc il faut foncer sans peur et voir ce qu'il en résulte, le temps en décidera.

- Los Bastardos est traversé par des influences qui évoquent aussi bien Michael Haneke que Bruno Dumont. Quelles relations entretiens-tu avec ce cinéma Européen aussi ambitieux que viscéral ?
Avant de pouvoir réaliser mes propres films, ces deux cinéastes ont beaucoup attirés mon attention. Je les ai beaucoup admirés, et il est certain qu'ils m'ont influencé. Le premier metteur en scène qui m'a vraiment fasciné quand j'avais quinze ans a été Werner Herzog, puis juste après Stanley Kubrick, pour le langage et l'univers cinématographique qu'ils créent pour chacun de leurs films. Je crois que mon attirance pour ce cinéma ambitieux et viscéral vient de là.

- En voyant le film, on pense beaucoup à Funny Games avec lequel Los Bastardos partage pas mal d'éléments. Néanmoins je trouve ton film plus réussi, plus efficace car il n'est jamais dans la démonstration mathématique d'une quelconque théorie. Sans chercher à être manipulateur ou à délivrer un quelconque discours sur la représentation de la violence, ton film est si ouvert à l'interprétation qu'il finit par aborder ces questions, presque malgré lui.
Merci.

(La suite demain)

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