- Le choix de tourner beaucoup en plans fixes est aussi courageux que périlleux. Qu'est-ce que cette méthode apporte au film selon toi ?
Crois moi, ce n'est pas quelque chose que nous avions planifiés en commençant à travailler sur le scénario. Cette idée a surgie en partie sur le tournage, au moment de planifier le découpage des plans. Je cherche toujours à dire le maximum avec le minimum, et cela donne souvent des plans moins nombreux mais plus longs. Je crois que ce parti-pris permet au spectateur d'entretenir une relation plus profonde avec ce qu'il est en train de voir. En revanche, c'est plus difficile de débuter cette relation parce que cette technique demande toujours beaucoup de patience au spectateur. Tourner en plan fixe est un pari, et j'espère que les gens apprécient et s'émeuvent, comme quand je regarde des films qui ne tentent pas de me manipuler par l'image pour me raconter leur histoire. En regardant Los Bastardos, je pense que j'ai voulu que le spectateur soit le témoin de ce qui arrive, c'est pour cela que je ne le laisse même pas cligner des yeux. C'est pour cette raison que je n'ai pas voulu couper les plans dans Los Bastardos.
- Comment ont été castés les deux acteurs qui interpretent Jesus et Fausto ? Leurs visages sont déja toute une histoire...
L'idée a toujours été de trouver deux jeunes garçons forts et avec de l'expérience qui travaillent réellement dans le bâtiment ou dans les travaux manuels. Mon frère Martin, qui s'est occupé du casting de mes deux longs-métrages a trouvé exactement ce que nous cherchions dans la ville de Guanajuato (centre du Mexique, Ndr). Le problème a juste été de trouver un moyen de les amener légalement aux Etats-Unis, mais cela c'est avéré quasi impossible. Finalement, nous avons seulement pu faire rentrer l'un des deux, Jesús Moises Rodriguez. L'autre, Rubén Sosa, nous l'avons rencontré aux Etats-Unis même. Il a été embauché la veille du début du tournage parce que l'acteur que nous avions finalement trouvés a pris peur. Aucun des deux n'avait jamais joué dans un film, et il a été très difficile pour eux d'apprendre les lignes de dialogues. Mais pour que Los Bastardos fonctionne, pour moi il ne faisait aucun doute que les deux acteurs principaux devaient être 100% authentiques.
- La réputation d'un film diffusé a Cannes se construit souvent sur peu de choses. Concernant Los Bastardos en l'occurence, on a beaucoup parlé d'une scene bien précise (que je me garderais bien de révéler). Cette réputation peux avoir des effets très bénéfiques (effet de bouches a oreilles), mais le film prends aussi le risque d'en être réduit à ces quelques secondes, au
détriment du reste.Je crois vraiment que le moment que tu mentionnes n'aurait pas du tout la même force ni le même impact sans toutes les scènes qui le précèdent et qui le succèdent. Personnellement, quand je ressens ça en regardant un film, je pense qu'on peux parler de cinéma pur.- Tu as écris le scénario avec ton frère, Martin. Un certain Oscar Escalante a également travaillé sur ton premier court et ton premier long. Est-ce ton autre frère ? Pourquoi ta famille est aussi active dans ton processus créatif ?Oscar est mon père, et il est très doué pour construire n'importe quoi. Par exemple, pour mon premier long-métrage, Sangre, il a construit pas mal de choses, comme les structures pour les lumières, une structure pour accrocher une caméra à la fenêtre d'une voiture, et des rails de travelling de 30 mètres. Ces rails ont étés ensuite utilisés pour filmer la fameuse première scène de Lumière Silencieuse / Stellet Licht (Reygadas 2007). Je crois qu'il a maintenant en tête de construire une grue pour mon prochain film. Je travaille avec frère parce que pour moi ça me semble la chose la plus naturelle. Il a toujours été très proche de moi pendant que mes projets se développaient, et comme il est aussi passionné de ciné, la coopération s'est toujours faite de manière organique. Il a aussi co-écrit le premier long-métrage de notre amie Daniela Schneider.- Le scénario du film est particulièrement réussi. Les personnages ne réagissent jamais vraiment de la manière qu'on attend. Los Bastardos est l'un de ces rares films dont a le plus grand mal à deviner ce qui va se passer dans les minutes a venir. Qu'aviez-vous en tête au moment de l'écriture ?Merci. Je me rends compte que la "technique" que j'utilise est de faire faire aux personnages l'exact opposé de ce qui m'a traversé l'esprit en premier.- Vous avez écrits le film en combien de temps ?Nous avons retravaillés le scénario jusqu'au moment du tournage, donc on peux dire que ça nous a pris deux ans pour l'écrire. D'une manière involontaire. En fait, le scénario était prêt a être filmé au bout de six mois, et cela ne m'aurait pas déplu qu'il voit le jour sous cette forme là. - Dans ta bio, on raconte que ta famille vient d'Espagne, que tu as travaillé aux Etats-Unis. Tout cela est tout de meme un peu flou. Quelles expériences t'ont amené a devenir un metteur en scène de renommée internationale ?Je suis né à Barcelone d'une mère Nord-américaine et d'un père Mexicain. Plus tard, mes parents sont retournés vivre à Guanajuato, Mexico, où j'ai grandi jusqu'à mes 13 ans, âge où je suis parti vivre aux Etats-Unis avec ma mère et mon frère. Je suis revenu a Mexico à l'âge de 18 ans, de manière permanente. Je considère que le temps que j'ai passé aux Etats-Unis, en particulier les deux années que j'ai passé à Austin, Texas, de 15 à 16 ans, a joué un rôle primordial dans mon évolution en tant qu'amateur de cinéma, puis en tant que créateur. C'est la-bas que, grâce au Austin Film Society, j'ai pu voir des tas de films qui allaient de James Benning a Michael Powell. J'ai découvert Fassbinder et Tarkovski, j'ai vu Orange Mécanique et Aguirre, La Colère de Dieu. Tous projetés sur grand écran ! J'y ai vu Jeanne Dielman de Chantal Akerman, un film qui m'a servi plus tard de référence quand j'ai réalisé mon premier film. Chaque mardi soir, c'était vraiment un paradis pour les cinéphiles, et je me sentais très chanceux, et encore aujourd'hui, d'avoir pu voir si jeune des films aussi étranges et radicaux.- En parlant de frontières, comment s'est passé le tournage aux Etats-Unis ? Avez-vous également tournés les intérieurs de Los Bastardos a Los Angeles ?Le tournage aux Etats-Unis a été dur. Ca n'a pas été facile d'obtenir les permis, et le fait d'être dans l'une des plus grande ville du monde après avoir tourné dans ma ville de Guanajuato a été quelque chose que je n'avais pas prévu. En même temps, pas mal de choses ont été plus faciles, en partie parce que nous avions sur place l'industrie du cinéma dans toute sa splendeur. On a ainsi mis la main sur des choses quasi impossibles a trouver au Mexique. Comme trouver des objectifs Panavision avec notre petit budget, et réaliser la post-production au laboratoire Deluxe, où se font les films plus grands et les plus chers d'Hollywood. Puisque le studio se fait beaucoup d'argent sur de très grosses productions, ils nous ont fait bénéficier de prix très bas et de traitements de faveur.Les scènes d'intérieurs ont étés tournées au Mexique, ainsi que quelques extérieurs.- Le cinéma indépendant Mexicain est très actif en ce moment, et les films qu'il produit sont aussi très souvent de grands films politiques. Te sens-tu actuellement porté par une dynamique ?Je souhaite réaliser des films comme ceux qui m'ont émus. Et il y en a eu de toutes les sortes. En même temps, je suis bien conscient de ce que je peux faire et ne pas faire. Je veux apprendre à faire des choses plus compliquées ou plus simples, au fur et a mesure que j'avance en tant que cinéaste. Quant à Hollywood, nous y sommes déjà allés pour mon deuxième film, et pour le moment je ne souhaite pas y retourner.- On dit aussi souvent que la société Mexicaine est une société
culturellement syncrétique. Accepterais-tu que nous parlions de ton travail comme d'une oeuvre syncrétique, influencé par le cinéma Européen mais traversé par une identité singulièrement Mexicaine ?En réalité, ça me gêne de penser de cette manière, ou de me dire que c'est ce que je suis en train de faire. Il y a beaucoup d'artistes américains qui ont eu aussi une grande importance pour moi. Je crois que l'art s'est globalisé bien avant le commerce parce que les artistes ont toujours eu les sens ouverts, et ça me parait trop compliqué et recherché de dire que je suis, ou que nous faisons un cinéma de style Européen, mais au Mexique.Merci a Amat Escalante, Fiorella (Mantarraya Productions) et Pola Hurtado de Thévenot.