MY FAVORITE MOVIES # 04
LA CLEF
guillaume nicloux (2007)
"Si l'homme a besoin du mensonge, après tout libre à lui ! Mais enfin, je n'oublierai jamais ce qui se lie de violent et de merveilleux à la volonté d'ouvrir les yeux, de voir en face ce qui arrive, ce qui est. Et je ne saurais rien de ce qui arrive si je ne savais rien du plaisir extrême, de l'extrême douleur"
George Bataille
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Les films de Guillaume Nicloux s'ouvrent toujours d'une manière éminente. Ils sont aussi connus pour leur difficulté à se refermer, autant à l'écran que dans nos esprits. En effet, comment oublier cette série de travellings-avant sur des lieux déserts que nous ne connaissons pas encore et qui constituent les premières minutes de "Cette Femme-Là" ? Ou encore la séquence d'ouverture du "Concile de Pierre", ces trois premières minutes dénuées de "son in" ?La Clef s'ouvre sur une image (celle d'un parc abandonné au milieu de l'automne), d'une musique austère (un accordéon à bout de souffle) et d'une voix off qui déjà tire des conclusions sur une histoire dont nous ignorons encore les tenants et les aboutissants. En quelques plans, nous retrouvons quelques figures bien connues du cinéma de Nicloux, son style, son univers, ses obsessions. Pour les connaisseurs, nous sommes en terrain connu. Pour les curieux qui découvrent leur premier Nicloux, ou qui l'ont découverts avec son film le plus ouvertement mainstream (Le Concile de Pierre, réalisé en 2006), un temps d'adaptation sera nécessaire. Spectateur initié ou pas, le malaise s'installe déjà.
A bien des égards, "La Clef" est un un film-somme qui clôt une sorte de "trilogie implicite" dont les deux premiers segments sont "Une Affaire Privée" (2002) et "Cette Femme-Là" (2003).
- Film-somme car on retrouve dans "La Clef" chaque personnage principal de chacun de ses films (le commissaire Michèle Varin, interprétée par Josiane Balasko, et l'inspecteur François Manéri incarné par Thierry Lhermitte), alors que se rapporte une troisième pièce au puzzle : Eric, le personnage interprété par Guillaume Canet.
- Film-somme car on retrouve dans "La Clef" tout l'univers de Nicloux, mais dans sa version épurée, découennée, débarrassée de tout superflu. Dans "Cette Femme-Là", Nicloux avait encore recours à des éléments très classiques (mais terriblement bien employés) pour élaborer un sentiment de peur, tels l'emploi oppresant du mixage sonore, ou encore l'utilisation de lents travellings. Dans "La Clef", la peur semble surgir aux quatre coins des plans, sans que le spectateur soit pour autant capable d'en identifier l'origine.
- Film-somme enfin, car tout son savoir-faire en matière de mise en scène et de direction d'acteur semble culminer dans ce dernier opus. Bizarrement, Guillaume Nicloux parait avoir laissé derrière lui les mouvements de caméra sophistiqués et s'être laissé séduire par un style "caméra portée", faisant ainsi le chemin inverse de ces jeunes metteurs en scène tournant leur premier film caméra à l'épaule, soit par manque de moyen, soit avec un désir de rendre leur mise en scène plus énergique et spontanée.
Il en va de même pour sa méthode de "casser les réflexes du comédien", qui donne à "La Clef" les plus grands moments de terreur impalpable et flottante qu'il ait filmé.
"On ne va pas vers le beau, tu sais". Pour un peu, cette phrase, lâchée dans le film par Vanessa Paradis passerait presque pour une note d'intentions laissée au spectateur distrait. Note d'intention que Nicloux semble suivre à la lettre depuis la fin du tournage du "Poulpe" voilà 10 ans. Tourner recemment "Le Concile de Pierre", gros budget adapté de l'aberrant roman de Jean-Christophe Grangé, œuvrette dont Nicloux réussit à la force du poignet à arracher quelques fulgurances malgré l'épaisse inanité de son scénario, semble lui avoir donné l'envie de se libérer d'un trop lourd dispositif de tournage. Adieu les grues, la steadycam et les plaines d'Asie du sud-est, re-bonjour la banlieue, les campagnes déprimantes, les parkings et les zones industrielles. Motivé par ce retour sur son territoire, il était naturel que "La Clef" s'enfonce un peu plus loin dans les expérimentations narratives chères à son auteur.
"La Clef" raconte l'histoire d'Eric, un homme incapable de devenir père tant qu'il n'a pas lui-même élucidé le mystère de ses origines. Alors qu'il a partiellement abandonné l'idée de mettre la main sur son paternel, un certain Joseph Arp le contacte pour lui remettre ses cendres. Le jour de leur rencontre, un engrenage kafkaien se met en place, propulsant le personnage dans une histoire où rien semble à priori avoir de sens. Dans une histoire dont Joseph Arp, qu'on devine frustré de ne pas être le père d'Eric, semble être la clef de tout les mystères.
Le sens de cette histoire, nous la saisirons par le biais d'une série de flash-backs racontant ce qui s'est passé dans cette région 32 ans avant. Parallèlement à ces deux strates temporelles, vient se greffer l'histoire d'un homme, partit lui aussi à la recherche d'un membre de famille. Sa fille.
LA BEAUTE DE L'HORREUR
Malgré les apparences, "La Clef" n'est pas un film déprimant. Si ses personnages trimballent tous avec eux un spleen taille XL, le regard que Nicloux porte sur eux n'est jamais condescendant ni misérabiliste. Au contraire, le film semble uniquement être tendu par la volonté confuse qu'ont ces personnages à aller jusqu'au bout d'eux-mêmes, quite à mettre en danger leurs propres fondements. Pour les personnages, il s'agit donc d'aller à la rencontre de leur "part maudite". Pour le réalisateur, il s'agit avant tout d'extraire la beauté de l'horreur (des situations, des visages), de capter ces moments où les personnages apprennenrt d'eux-mêmes quelque chose qu'ils ignoraient, bien souvent dans la douleur et l'adversité. De mettre le doigt sur ces moments que seul le cinéma et les êtres attentifs sont capables de voir.
Malgré les apparences, "La Clef" serait presque un film fantastique, tant Nicloux semble être mieux que quiconque capable d'ouvrir de fines brèches d'irrationalité à partir des plus banales situations du quotidien. Le personnage interprété par Balasko évoque à un moment donné, au détour d'une banale conversation, la fantasque possibilité qu'il puisse exister des mondes parrallèles. Et si "La Clef" du film se trouvait dans ces recoins ? Le fait que ces paroles surviennent lors d'une anodine conversation démontre à quel point les films de Nicloux reposent sur l'angoisse qu'une brèche puisse s'ouvrir d'un moment à l'autre dans la réconfortante banalité de nos existences, au moment même où nait la conscience que cette expérience est le seul moyen d'en savoir enfin plus sur nous-mêmes. Sans mysticisme, sans donner dans l'existentialisme et sans verser dans un fantastique franc, "La Clef" (et les autres films de la "trilogie") s'empare bel et bien de l'intuition que le monde est probablement bien plus vaste et profond que ce qu'il nous donne à voir. Une promesse de mystères -solubles ou pas dans le réel- dont le film n'est jamais avare.
Si l'univers et la morale du film sont loin d'être rassurants, l'obstination de Guillaume Nicloux à poursuivre une oeuvre noire, réputée difficile, souvent considérée à tort comme "gratuitement glauque", n'en est pas moins une bonne nouvelle pour le cinéma français. Et si son salut passait par la modestie de ses auteurs et sa foi dans l'existence d'une terre cinématographiquement vierge ? (FT)
(Chronique parue dans
le numéro 7 du magazine NOISE)
discúlpa el retraso!
RépondreSupprimer;)
un saludo: UNO!