Black Cat Bones est à l'origine une maison d'édition Lyonnaise, mais très vite pour promouvoir les artistes que nous souhaitions défendre et pour partager notre enthousiasme pour eux, nous nous sommes mis à organiser des expositions à droite à gauche, dans divers lieux (et pas forcément toujours des galeries au sens classique du terme). Suite à notre exil au Mexique, nous avons naturellement eu l'envie d'ouvrir un lieu à nous. Mais comme l'ouverture d'une pure galerie d'art ne nous semblait pas viable et que Pola possède certains talents culinaires que nous souhaitions exploiter, nous avons plutôt opté pour l'ouverture d'un lieu mi-café/mi-galerie. Ça n'a visiblement pas été une mauvaise idée puisque c'est aujourd'hui le café qui fait vivre en grande partie la galerie.
Mais à nos yeux Black Cat Bones reste une entité en perpétuel mouvement, rien ne nous dit que dans quelques années nous n'allons pas nous mettre à éditer de la littérature ou des ouvrages d'art religieux contemporains. Nous ne nous sommes fixés aucune limite, nous répondons juste à nos envies et nos préoccupations du moment en espérant que notre travail touche quelqu'un en face. C'est pas très commercial comme démarche, mais nous n'avons aucune envie de finir étiquetés, même si nous souhaitons tout de même véhiculer une certaine image.
Deux mots sur l'exil mexicain et l'idée de travailler par internet ?
Nous sommes partis assez en colère de France. Un peu sur un coup de tête, après une période assez noire faite de chômage, de ras-le-bol et de déceptions diverses, pas d'ailleurs forcément liées à avec nos activités éditoriales. Nous avions l'impression que ce pays ne pouvait plus répondre à aucune de nos attentes. Nous vivions une vie sans aucune réelle perspective d'avenir, autant du point de vue personnel que professionnel. En France tout semble figé. Je vis depuis tout gamin avec l'impression que le pays a arrêté d'évoluer au milieu des années 70. Étrangement, il a fallu partir dans un pays du tiers-monde pour retrouver l'envie et la liberté de faire ce que nous avions en tête. Nous avions besoin d'air, de soleil et de nouvelles opportunités. Six mois après notre arrivée, le projet de café était déjà sur pieds.10 mois plus tard, le lieu était ouvert. Je n'ose même pas imaginer les galères financières et administratives que nous aurions du traverser si nous avions voulu créer la même chose en France. Au Mexique il règne une joyeuse anarchie à moitié structurée qui permet une grande créativité, une ambiance invitant à la spontanéité. Ici nous avons perdus la sécurité sociale mais nous avons redécouvert la joie de vivre et le plaisir de créer sans entraves. Moins d'état, plus d'initiatives individuelles. En gros, nous avons découvert que le libéralisme avait ses bons côtés.
Quant à notre utilisation d'internet, il me semble que n'importe quel éditeur un tant soit peu à la page en fait la même. Nous avons plusieurs sites, plusieurs blogs, un compte Facebook, une page Myspace, c'est pour nous le seul moyen de rester visible, non seulement vis à vis du monde de l'édition classique, distribué en magasin, mais aussi vis à vis des autres éditeurs qui en sont au même point que nous. L'apparition d'internet a permis la démocratisation de la vente par correspondance, nous profitons donc de cet appel d'air et cette manière de fonctionner nous convient plutôt bien.
Pourquoi "Twin Peaks", en particulier ?
J'ai découvert cette série en 1989, lors de sa première diffusion en france en deuxième partie de soirée sur la 5. J'avais 15 ans à l'époque, et j'ai littéralement été happé par l'objet, fasciné par les personnages, hypnotisé par le lieu, la mythologie développée. Twin Peaks est une date dans l'histoire de la télévision. Il y a eu un avant et un après Twin Peaks. Vingt ans plus tard on peux encore voir apparaitre ici et là des séries influencées par l'étrange ambiance de la série de Lynch/Frost (je pense à John From Cincinnati, par exemple).
Même dans l'œuvre de Lynch, il y a un avant et un après Twin Peaks. C'est une série qui me semble synthétiser pas mal d'éléments qu'on retrouve dans ses films, mais rallongés, distillés, sublimés. J'aime quasiment tout dans l'œuvre de Lynch mais il n'y a aucun de ses films vers lesquels je reviens avec autant de plaisir que vers Twin Peaks. Twin Peaks est une singularité dans l'œuvre singulière de Lynch.
Dirais-tu que cette série, peut-être plus encore que les autres films de Lynch, a inventé une sorte de nouvelle mythologie, ou de mythologie secondaire ?
C'est bien là la force des séries par rapport au cinéma, cette capacité à développer en profondeur des personnages centraux, des personnages secondaires, des lieux, des situations, des mystères. Créer un cadre, parvenir à travailler dedans tout en réussissant (ou pas) à renouveler les situations, à faire évoluer les personnages, jongler entre ce que j'appellerais "l'univers-chausson" (on regarde une série comme on chausse ses chaussons, pour retrouver chez soi un univers dans lequel on a ses marques) et le devenir potentiel de l'univers crée.
Les autres films de Lynch n'ont pas réussis à pondre une "mythologie" aussi forte dans la mesure où il est difficile de bâtir quelque chose sur moins de deux heures. Si Mulholland Drive s'était développé sous la forme d'une série comme c'étais le projet au départ, il est fort probable qu'un nouvel univers vraiment très profond et tortueux serait sorti de tout ça, quelque chose de peut-être aussi fort que Twin Peaks. Mais dans l'état, il s'agit juste d'un film possédant une sorte de mythologie presque avortée.
Je crois que l'univers de Lynch est vraiment fait pour ce type de format. Le problème vient du fait que les méthodes de travail gens qui produisent ces séries sont incompatibles avec la démarche créatrice de Lynch.
Et est-ce que ce n'est pas (ou que ça ne devrait pas être) le but de toute série fantastique que de réussir à inventer et à imposer une mythologie particulière ?
Exactement. C'est d'ailleurs tellement une évidence que certains créateurs de séries aujourd'hui se contentent désormais de crée une mythologie et de s'asseoir orgueilleusement dessus sans forcément parvenir à la faire évoluer. Je pense à Lost, qui a dès le début a crée des situations très fortes et un univers immédiatement reconnaissable, mais dont les intrigues s'annulent les unes les autres par manque d'une vision d'ensemble (dues à des réécritures constantes et des changement d'angle d'attaque permanents).
Certaines séries "non fantastiques" parviennent également à créer leur mythologie. Dès qu'il y a mystère, il y a possibilité de créer des attentes chez le spectateur et nourir, parfois malgré lui, son imagination. Je pense à Battlestar Galactica, qui dans un cadre SF, a réussi à bâtir des histoires passionnantes renouant avec les mythes greco-romains tout en parvenant à en créer de nouveaux (tous ces mystères entourant de l'évolution de la "race" des robots/Cylons).
L'autre exemple récent, ce serait quoi ? "X-Files" ?
Je suis complètement passé à côté de X-Files. Cette série m'a toujours profondément ennuyé. Je n'ai jamais vraiment compris l'impact que cette série a pu avoir sur la culture populaire. Je ne suis pas sûr qu'il existe un véritable équivalent au phénomène Twin Peaks, qui me semble être une véritable singularité. Six Feet Under, je trouve, possédait un vrai univers personnel et un vrai ton. Je ne suis jamais rentré dedans non plus, mais je reconnais qu'il y a un ton vraiment à part.
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